
Bonjour, je m'appelle Pierre et je suis un collectionneur compulsif de disques... C'est probablement ainsi que je me présenterais si je faisais partie d'un groupe d'entraide pour collectionneurs acharnés. Mais rassurez-vous, cette « condition » n'a rien de douloureux. Au contraire, elle m'apporte une immense joie, et je suis ravi de pouvoir partager avec vous ma passion pour la musique classique dans les pages de PMA Magazine.
Audiophile et mélomane, je suis convaincu qu’un équipement audio de qualité peut sublimer la musique, en mettant en lumière sa signification artistique ou, à tout le moins, en attirant notre attention sur certains de ses aspects. Ma curiosité musicale est sans limites. J’aime presque tous les genres : la musique classique, bien sûr, mais aussi le jazz, le rock progressif (je suis un inconditionnel de Rush !), le folk, l’électro, et bien d’autres encore.
Comment suis-je tombé amoureux de la musique classique ? Je le dois, en grande partie, à des voleurs qui m’ont dérobé ma collection d’une centaine de disques – principalement du rock lourd – lorsque j’étais étudiant. Cet incident m’a poussé à tourner la page et à explorer d’autres horizons musicaux. C’est ainsi que je me suis retrouvé dans un magasin de disques du Vieux-Québec, errant d’abord dans la section jazz. Mais le commis derrière le comptoir semblait bien trop occupé pour m’aider. Je me suis alors dirigé vers la section classique et, sans trop savoir où commencer, j’ai lancé au premier vendeur que j’ai croisé : « Je veux découvrir la musique classique. » Il m’a guidé vers le baroque joué sur instruments d’époque, et ce fut une révélation. De là, j’ai plongé dans un univers fascinant, dévorant tout ce qui pouvait nourrir ma soif de connaissances : les livrets des disques que j’achetais avec parcimonie, les magazines spécialisés, les guides d’écoute et, surtout, les catalogues des maisons de disques, qui m’ont initié à la richesse du répertoire. On m’a dit que j’avais une bonne oreille pour la musique. Quelques années plus tard, à la dernière minute, j’ai remplacé un ami à l’animation d’une émission de musique classique sur une radio communautaire de Québec. Ce qui devait être un intérim s’est transformé en une aventure de 12 ans, où j’ai pu partager ma passion sur les ondes et interviewer de nombreuses vedettes, locales et internationales. En parallèle, j’ai été critique de musique classique pour le quotidien Le Soleil ainsi que pour le magazine québécois de hi-fi Son & Image. Voilà comment une mésaventure s’est muée en une passion dévorante et une carrière dédiée à la découverte et à la transmission de la musique classique.
Dix disques pour vous lancer dans l’aventure classique (partie 1 de 2)
Pour lancer ma nouvelle collaboration avec PMA, j'ai pensé à ceux qui pourraient se sentir intimidés par la musique classique ou ne pas savoir par quels enregistrements commencer. Voici donc un premier lot de cinq albums pour vous guider. J'en ai choisi un de chaque grande époque pour vous donner des points de repère.
Renaissance : ±1400 à ±1600
Carlos V
Jordi Savall
Alia Vox AVSA9814

Je ne peux imaginer meilleur album pour vous initier à la musique de la Renaissance. Cet enregistrement figure également sur ma liste restreinte des disques à emporter sur une île déserte, où, espérons-le, un système audio de qualité nous attend. Jordi Savall, l’un des plus grands spécialistes de cette époque, a soigneusement conçu un riche programme de pièces vocales, chorales et instrumentales. Ces œuvres retracent les moments marquants de la vie de Charles Quint (1500-1558), empereur du Saint-Empire romain germanique de 1519 à 1558, mélomane et mécène de nombreux musiciens. Le programme, captivant, mêle des chansons à boire (Quand je bois du vin clairet, Anonyme), de la musique de batailles (La bataille, Janequin) et, surtout, la poignante et mélancolique Mille regretz de Josquin des Prés, qui inspira Cristóbal de Morales pour sa célèbre messe du même nom. Comme toujours avec les albums de Savall publiés sous son label Alia Vox, la qualité de l’édition et l’érudition des notes de livret accompagnent parfaitement l’excellence artistique de l’interprétation. La prise de son, réalisée par Nicolas Bartholomée, collaborateur fidèle de Savall, est tout simplement miraculeuse et contribue à faire de cet album un véritable chef-d’œuvre. Disponible également en SACD.
L'ère baroque : ±1600 à ±1750
Concertos brandebourgeois 1-3; Suite pour orchestre n° 1;
Reinhard Goebel
Archiv Produktion 447287-2

Le premier volume des Concertos brandebourgeois de Bach par Reinhard Goebel (au total, il y en a six) est ce fameux disque que m’avait recommandé un disquaire pour « entrer dans la musique classique ». Le choc—il s’agissait de musique baroque. Mais je n’en ai jamais voulu au vendeur, car cet album est devenu l’un de mes préférés, tous genres confondus. Cet enregistrement de 1985 a remarquablement bien vieilli, tant sur le plan de l’interprétation que de la qualité sonore. Goebel et son ensemble Musica Antiqua Köln offrent ici une lecture revigorante de la musique de Bach, en mettant l’accent sur les contrastes et en exploitant pleinement les dynamiques intrinsèques des compositions. Les riches sonorités des instruments sont magnifiées sans jamais occulter la délicatesse des passages plus intimes. La virtuosité est également mise à l’honneur, notamment avec la trompette naturelle dans le final du 2e Concerto ou encore l’orchestre de chambre dans le final du 3e Concerto. Mention spéciale à la Première Suite pour orchestre, qui conclut le programme (enregistrée en 1987). Cette série de danses, hommage au style français, est interprétée par Goebel avec la solennité et l’élégance qu’elle mérite. Cet album illustre brillamment l’influence profonde de la musique française sur Bach et ses contemporains. À noter que ces enregistrements figurent également dans un coffret de 8 disques chez le même éditeur, regroupant les œuvres orchestrales et de musique de chambre enregistrées par Goebel (471656-2). Enfin, ne manquez pas de lire le livret : il est aussi clair qu’instructif.
Ère classique : ±1770 à ±1800
Concerto n° 10 pour deux pianos;
Concerto pour flûte et harpe;
3e Concerto pour cor Jos van Immerseel Alpha 339

Le style classique en musique se définit par la quête de l'équilibre, de la clarté et de l'élégance. Il repose sur la maîtrise de la forme, un langage harmonique limpide et une palette tonale lumineuse, tout en cultivant une retenue expressive, sans pour autant exclure surprises et clins d'œil. Ce disque incarne parfaitement ces principes et vous invite à les savourer dans toute leur splendeur. C’est l’un de mes enregistrements favoris de Mozart, interprété par Jos van Immerseel, un pianiste et chef d’orchestre d’un talent exceptionnel. Immerseel, passionné par la richesse des timbres, possède une collection remarquable de pianos historiques, et cette attention se reflète dans chaque note. Ce programme nous offre trois concertos magnifiques et variés : le Concerto n° 10 pour deux pianos (KV365), le populaire Concerto pour flûte et harpe (KV299), et le Concerto pour cor n° 3 (KV447). Les solistes, tous membres de l’ensemble Anima Eterna, sont de véritables spécialistes de ce répertoire. L’enregistrement est d’une qualité sonore exceptionnelle, à la fois naturel et aérien. Une mention spéciale revient à la capture des timbres, qui magnifie la beauté des instruments choisis, en particulier les superbes fortepianos Walter (semblables à ceux utilisés par Mozart et Beethoven) et la harpe exquise du KV299. Un pur délice pour les amateurs de musique classique et de timbres authentiques.
L'ère romantique : 1800 à 1900
Beethoven : Symphonies 4 et 5
Nikaulas Harnoncourt
Sony Classical 8875136452

L'ère romantique se caractérise par son opposition au classicisme, privilégiant le sentiment à la raison et recherchant des formes nouvelles qui transcendent les canons établis. Rappelons que Beethoven, arrivé à Vienne en 1792, a d'abord composé dans un style classique, suivant les traces de ses modèles Haydn et Mozart, avant que sa musique n'adopte des teintes résolument romantiques au tournant du XIXe siècle. Parmi les dizaines de versions existantes de la Symphonie n° 5 (Qobuz via Roon en compte 234 !), mon choix s'est immédiatement porté sur la deuxième version officielle du grand chef Nikolaus Harnoncourt, ici couplée avec la Symphonie n° 4. Les notes d'accompagnement sont captivantes et révèlent, entre autres, le lien entre la Symphonie n° 5 et la Révolution française. Dans les années 1990, Harnoncourt a enregistré un coffret de référence regroupant les neuf symphonies de Beethoven, bouleversant quelque peu les interprétations conventionnelles. Cette deuxième version des 4e et 5e symphonies va encore plus loin dans la remise en question des idées traditionnelles. La souvent sous-estimée 4e Symphonie est ici sublimée, révélant une beauté et un équilibre qui en font peut-être la plus accomplie des symphonies de Beethoven. Quant à la 5e Symphonie, Harnoncourt rejette le thème du destin associé à son célèbre motif d'ouverture : « On ne frappe pas à la porte pour entrer, mais pour sortir », affirme-t-il. Interprétée sous cet angle, la 5e devient un manifeste politique, une marche de libération post-révolutionnaire conduisant vers l'autre rive, celle de la liberté. L'enregistrement est éblouissant, mettant en valeur les contrastes dynamiques de la musique, c'est-à-dire la richesse des écarts entre les sons les plus subtils et les plus puissants.
La « modernité » : 1900 à nos jours
Stravinsky : L’Oiseau de feu, Pétrouchka (version 1911), Le Sacre du printemps
Pierre Boulez
Deutsche Grammophon 435769

Bang ! Le Sacre du printemps, ballet de Stravinsky créé en 1913 à Paris, provoqua l’un des plus grands séismes de l’histoire de la musique. Il y a un avant et un après Le Sacre, chef-d’œuvre absolu qui offrit aux compositeurs une nouvelle liberté d’expression. Cet enregistrement de Pierre Boulez à Cleveland, qui s’ouvre sur le ballet Pétrouchka, fait partie des deux ou trois disques que j’utilise systématiquement pour tester les appareils stéréo, notamment les amplificateurs. La prise de son est tout simplement exceptionnelle : une image sonore cristalline et parfaitement définie (on voit la musique, on la sent presque tangible), des timbres hyperréalistes débordants de couleurs et, surtout, une dynamique tonitruante qui vous laissera bouche bée (écoutez la grosse caisse dans Le Sacre !). Boulez adopte ici une approche plus analytique et descriptive dans ces deux œuvres majeures. D’autres chefs, comme Riccardo Chailly, ont su insuffler davantage d’esprit dansant, mais seul Boulez atteint un tel niveau de virtuosité, imprégnant l’orchestre d’un sens implacable du rythme et d’une perfection d’ensemble. Un pur délice pour tout audiophile digne de ce nom.
Passer à la deuxième partie.
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