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Comme promis, voici le deuxième volet de cette chronique pour vous donner un élan dans votre quête musicale. Afin de vous donner quelques points de repère, chaque disque à l’illustre honneur de représenter une époque distincte.
Une petite précision s'impose : mon objectif est de piquer votre curiosité et de varier les genres musicaux autant que possible. Je vous encourage à explorer d'autres versions et surtout à lire les livrets qui accompagnent ces disques. Certains fournisseurs de musique en ligne, comme Qobuz, donnent accès à cette documentation.
Renaissance : ±1400 à ±1600
da Milano : Il Divino
Hopkinson Smith
Naïve E8921
Le luth est l'un des instruments les plus populaires de la Renaissance, au même titre que la viole. Si le fait d'entendre d'excellents luthistes peut vous inciter à approfondir le répertoire du luth, je vous recommande vivement le grand Hopkinson Smith, sommité en la matière et doté d'un sens de la musicalité hors du commun. Et si vous ne deviez posséder qu'un seul disque de luth solo, ce serait celui-ci. Le programme, qui propose une variété de chefs-d'œuvre de Francesco da Milano (1497-1543) sélectionnés par Smith, atteint les plus hauts sommets et nous permet de mieux comprendre les raisons pour lesquelles da Milano était surnommé "Il divino". Smith transcende une à une les nombreuses difficultés techniques que présente cette musique et nous élève directement vers les cieux avec des pièces comme " Fantasia 64″ (piste 5) et, surtout, " Recercar 51 " (piste 8). Il s'agit d'un excellent enregistrement, très intime, qui nous permet de savourer l'art de ce grand musicien ainsi que le timbre délicat et chaleureux de l'instrument. Par moments, cependant, on perçoit assez facilement la respiration du musicien, ce qui pourrait déplaire à certains auditeurs.
L'ère baroque : ±1600 à ±1750
Into Nature. Vivaldi Seasons, Imaginarium Ensemble
Enrico Onofri (violon et direction d'orchestre)
Passacaille PAS1062
Les Quatre saisons de Vivaldi : peu d’œuvres sont aussi emblématiques de leur époque que ces concertos pour violon, quatre premiers extraits des douze concertos op. 8 publiés à Amsterdam en 1725 et portant le titre de « Il cimento dell'armonia e dell'inventione » (L'Épreuve de l'Harmonie et de l'Invention). Dans leur édition originale, les Quatre saisons était accompagné de sonnets dépeignant chacune des saisons, probablement écrits par le prêtre roux—Vivaldi était un prêtre Catholique à la longue et flamboyante chevelure rousse. Personne ne sait vraiment si ces poèmes étaient destinés à être lus lors de l’exécution de la musique, mais tous conviennent que cette musique évocatrice au possible fait office de véritable hymne à la nature. Dans sa deuxième version des Quatre saisons (sa première avec Il giardino armonico est complètement exubérante et fascinante), le violoniste Enrico Onofri a pour ainsi dire pris ce concept au pied de la lettre. Ses promenades dans les bois qui entourent sa propriété en Europe et l’écoute minutieuse des sons produits par la nature et les animaux qui l’entouraient ont inspiré une exécution que nous qualifierons de naturaliste, du moins très descriptive, mais sans jamais être caricaturale. Notons les tempi très naturels (le tempo du premier mouvement de l’Été est calqué sur le chant du coucou qu’il a entendu chez-lui) et le ton parfois intimiste. Avec cet enregistrement, les débutants goûteront à ces œuvres en commençant par un grand cru. Les autres, qui connaissent les versions de Carmignola (l’interprète le plus humaniste, sur Divox et Sony) ou de Biondi (le plus virtuose et exubérant, sur Opus 111 et Erato), voudront sûrement ajouter cette merveille à leur collection. À savourer également est l’exceptionnelle prise de son, qui est « naturelle » à souhait, et juste assez réverbérée.
L'ère classique : ±1770 à ±1800
Haydn : Six quatuors à cordes, op. 20
Quatuor Mosaïques
Naïve E902881
Comme second disque pour vous approprier l’époque classique, j’aurais pu vous diriger vers un opéra, une messe ou même le Requiem de Mozart. Je me fie sur votre curiosité pour explorer ce répertoire rempli d’airs connus. J’ai plutôt opté pour quelque chose de plus discret, mais qui demeure des plus emblématiques pour cette époque : le quatuor à cordes. Il s’agit d’un des genres les plus importants de la musique occidentale et c’est à Joseph Haydn qu’on en doit en bonne partie la paternité, au tournant des années 1770. Bien que la formation « violon-violon-alto-violoncelle » fut utilisée bien avant lui par de nombreux compositeurs, c’est Haydn qui contribua le plus à en fixer la forme : quatre mouvements—un premier mouvement en forme sonate, menuet et mouvement lent au centre (parfois inversés), un final de plus en plus étoffé. Les six chefs-d’œuvre qui nous occupent, composés en 1772 et publié à Paris deux ans plus tard sous l’opus 20, distillent avec une subtilité toute classique la passion et la volonté de l’individu, deux nouvelles idées en vogue et diffusées par Goethe et les autres écrivains qui passionnaient la jeunesse européenne de l’époque. Haydn se sert donc des limites qu’il s’impose par la forme pour exprimer, avec des gants blancs, tout le raffinement et l’invention mélodique dont il est capable. Cet enregistrement du Quatuor Mosaïques, qui date de 1992, n’a pas pris une ride. C’est l’un des disques que je fais le plus souvent jouer lorsque les personnes que j’aime viennent partager un bon repas à la maison. La prise de son a su capturer les sublimes timbres des instruments et leurs cordes en boyau. Un grand cru.
L'ère romantique : 1800 à 1900
Liszt : Années de pèlerinage
Nicholas Angelich
Mirare MIR 714
J’ai dû me taper cinquante disques de musique du 18e siècle (symphonies de Brahms, lieder de Schumann, opéras de Verdi et de Wagner et surtout du piano) pour venir à bout de ma démarche et choisir un deuxième disque représentant l’époque romantique : les Années de pèlerinage de Franz Liszt. Les 26 numéros de ce cycle pianistique sont rassemblés en trois volumes (Suisse, Italie I et Italie II) et plusieurs d’entre eux sont des incontournables du répertoire pianistique. C’est le cas de la Vallée d’Obermann, après une lecture de Dante et des très modernes Jeux d’eau de la Villa d’Este, qui inspirèrent le jeune Ravel. Cette somme pianistique représente l’une des meilleures introductions au romantisme, car l’élément déclencheur est une rencontre, en 1832, entre le jeune Liszt, connu pour ses pièces de bravoure qui lui servent à briller dans les salons parisiens, et la jeune et belle Marie d’Agoult, aristocrate mariée à un homme beaucoup plus vieux qu’elle et qui semblait indifférent à son existence. Les deux jeunes amants s’enfuiront trois années durant, pour parcourir la Suisse et, surtout, l’Italie. Trois filles naîtront de cette union scandaleuse, dont Cosima, future deuxième épouse d’un certain Richard Wagner. Dans les Années de pèlerinage, Liszt ressasse les souvenirs littéraires et les visites de lieux célèbres, livrant de puissants reflets d’une âme véritablement romantique. La version du regretté Nicholas Angelich demeure l’une des plus éminentes, par son sens de l’évocation et son articulation déliée et naturelle, toujours prêt d’un cantabile méditatif. Magnifique prise de son et notice passionnante.
« Modernité » : 1900 à nos jours
Debussy : L’œuvre pour piano
Jean-Efflam Bavouzet
5 CD Chandos CHAN10743(5)
La musique de Debussy marque un tournant dans l’histoire de la musique. Considéré par plusieurs comme le premier occidental à composer avec des sons plutôt qu’avec des notes, c’est d’abord dans sa musique orchestrale qu’il s’affirma. C’est cependant vers son œuvre pianistique, qui date de la maturité du compositeur, que j’aimerais attirer votre attention, d’abord et avant tout pour la beauté pure de ce répertoire, mais aussi pour ses qualités révolutionnaires. Il y a de nombreuses intégrales de l’œuvre pianistique de Debussy (quatre à cinq disques, selon le pianiste et l’éditeur) qui valent leur pesant d’or. Pensons à celle de Walter Gieseking (Warner), avec ses brumes envoutantes, ou celle de Samson François (EMI), inachevée et marquée par une grande liberté. Le choix des audiophiles devrait toutefois s’arrêter sur l’intégrale du français Jean-Eflam Bavouzet, pour la qualité de ses prestations et sa prise de son. Le jeu du pianiste est magistral et fascine d’un bout à l’autre des cinq volumes, tant par le naturel des phrasés, d’une évidence confondante, que par cette touche d’inventivité et de risque qu’il dose à la perfection. Dans les Préludes (volume 1), Bavouzet pétrit chaque son avec une délicatesse et une virtuosité rare. Pour apprivoiser ce corpus, vous pouvez d’abord vous tourner vers le 3e volume, contenant un bouquet de pièces plus délicates comme La plus que lente et deux suites indispensables, Children’s Corner et la très belle Suite bergamasque. Prise de son d’une qualité proprement hallucinante. Rendez-vous à la plage 10 du premier disque, la Cathédrale engloutie (10e prélude du 1er livre), augmentez le volume et fermez les yeux…
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