"J'ai quelque chose qui me donne envie d'hurler,
J'ai quelque chose qui me dit de quoi il s'agit,
J'ai de l'âme et je suis super mauvais...".
—James Brown, « Super Bad »
Le blues a migré vers les centres urbains, électrisant les guitares et les concerts sur son chemin. À la même période, les musiciens noirs, fuyant la ségrégation raciale du Sud, cherchent à trouver des opportunités économiques ainsi qu’une vie meilleure dans des villes telles que Détroit, Chicago ou New York.
Le mélange des styles musicaux du blues, du boogie-woogie et du swing donne alors naissance au jump blues des années 40. En 1948, le journaliste musical du magazine Billboard, Jerry Wexler, invente le terme rhythm & blues pour remplacer les termes « race music » ou « race records », termes racistes d’une société ségrégationniste souvent utilisés par les artistes et les maisons de disques. Quelques années plus tard, Wexler jouera un rôle important en tant que producteur de disques pour Atlantic Records, l'un des premiers et des plus influents labels de l'histoire de la musique R&B et rock.
Les différences stylistiques entre le jump blues, le R&B et le rock & roll étaient minimes, plus sémantiques que nettes, ce dernier genre ayant été largement promu par le disk jockey de la radio, Alan Freed, comme un moyen d'amener les adolescents blancs à embrasser la musique noire d'une manière "non menaçante".
« Do you like that music
That sweet soul music… »
—Arthur Conley, « Sweet Soul Music »
Combinant le gospel et le rhythm & blues, la musique soul mêle le sacré et le profane à partir de juin 1959, avec le succès hybride R&B-soul emblématique de Ray Charles, alors âgé de 28 ans, « What’d I Say » [Atlantic 8029], capitalisant parfaitement sur un appel et réponse entre lui, les chœurs de ses Raelettes et la section de cuivres de son orchestre. Ce ménage à trois fait beaucoup de bruit à l'époque et est interdit par de nombreuses stations de radio blanches, et noires, en raison de sa sexualité manifeste.
HITSVILLE U.S.A.
« It’s like a heat wave… »
—Martha and the Vandellas, « Heat Wave »
Le 12 janvier 1959, cinq mois avant la sortie de "What'd I Say" de Ray Charles, Motown Records a été fondé à Detroit, surnommée "Motor City" pour avoir été l'épine dorsale de la prospère main-d'œuvre industrielle américaine grâce aux trois grands constructeurs Ford, GM et Chrysler.
Après la rencontre d’un jeune chanteur de 17 ans, Smokey Robinson, en 1957, Berry Gordy Jr. emprunte 800 dollars à sa famille et crée le label de disques qui deviendra le plus prospère appartenant à un Afro-Américain.
Employé brièvement comme ouvrier d'assemblage automobile pour Ford-Lincoln-Mercury, Gordy Jr. applique le modèle de fabrication du constructeur automobile à son entreprise musicale. Conçue pour établir non seulement le son de l'Amérique noire, ni seulement celui de l'Amérique blanche, mais plutôt, « le son de la jeune Amérique », selon le slogan de la société.
L'approche de Gordy Jr. en matière de création de hits—Motown dominera les classements de 1963 à 1972–comporte plusieurs volets. Les dénicheurs d'artistes et de répertoires (A&R) sont utilisés pour recruter un grand nombre de jeunes chanteurs noirs enthousiastes. La responsable du développement des artistes, Maxine Powell, s’occupe au sens propre et figuré de styliser, entraîner, et habiller ces derniers, tandis que le chorégraphe, Cholly Atkins, développe les mouvements de la marque Motown. Tous deux façonnent les personnalités publiques de leurs protégés afin de projeter une image de classe au public majoritairement blanc.
L'équipe de composition, d'arrangement et de production composée de Lamont Dozier et des frères Brian et Eddie Holland, alias Holland-Dozier-Holland ou H-D-H, continuent à produire des hits pour Motown jusqu'au départ du trio en 1967.
H-D-H, ainsi que d'autres auteurs musicaux, étaient soutenus musicalement et instrumentalement par les Funk Brothers. Ces musiciens de session de Détroit non accrédités - qui comprenaient, entre autres, le claviériste Earl Van Dyke et le bassiste James Jamerson - formaient l'arrière-plan de l'orchestre maison de la Motown et ont contribué à forger le célèbre Motown Sound.
Les enregistrements ont été réalisés à "Hitsville U.S.A.", le siège de Motown, une maison de deux étages située au 2648 West Grand Boulevard qui servait de studio d'enregistrement et de bureau administratif au rez-de-chaussée, et les quartiers d'habitation de Berry et la division A&R au deuxième étage. C'est aujourd'hui le Motown Museum.
En tandem avec Motown Records se trouvent les labels Tamla et Gordy, sans différences artistiques apparentes entre eux.
SOULSVILLE, U.S.A.
Dans un autre univers que celui du Motown de Détroit se trouve celui du Stax Records de Memphis. Ce dernier étant un mot-valise consistant de Jim Stewart et de sa sœur Estelle Axton. Stax Records est fondé en 1961 après avoir converti Satellite Records, qui était orienté vers la musique country, seulement quatre ans après sa création. Alors que Berry contrôle étroitement tous les aspects du processus d'enregistrement, se concentrant sur l'obtention d'un son pop-soul léger et enjoué, Stax et sa filiale Volt distribus un son soul sudiste, plus organique et plus crasse, dont les principaux ingrédients sont le rhythm & blues. Ils sont bien servis par leur propre cuisine soul—pas étonnant que leur premier tube, sorti en septembre 1962, s'appelle « Green Onions » [Stax 701]. Leur groupe maison « Booker T. & the M.G.'s », composé de Booker T. Jones à l'orgue et au piano, Steve Cropper à la guitare, Al Jackson Jr. à la batterie et Lewie Steinberg à la basse (plus tard, en 1965, remplacé par Donald "Duck" Dunn) est racialement intégré, une véritable rareté à cette époque.
Bien qu'ils aient sorti plusieurs albums sous leur propre nom, Booker T. & the M.G.'s sont surtout connus pour leur travail en coulisses, jetant les bases des géants de la soul Rufus Thomas et de sa fille Carla, Otis Redding, et Wilson Pickettpour n'en citer que quelques-uns, contribuant ainsi à créer ce que l'on appellera le Memphis Sound.
De retour à Detroit, l'équipe de H-D-H écrit la chanson qui allait lancer le « Motown Sound », faisant des vagues avec « Heat Wave » [Gordy GLP 907] de Martha and the Vandellas, en juillet 1963. Le groupe connaît un deuxième grand succès exactement un an plus tard avec « Dancing in the Street » [Gordy 7033], tandis que la chanteuse Mary Wells devient une « one-hit wonder » avec le single « My Guy » [Motown 1056], en mars 64.
L'été venu, la marée musicale monte d'un cran avec le premier d'une série de succès numéro un - portant le total à 12 au cours de la décennie - pour le groupe le plus populaire de la Motown de tous les temps, les Supremes.
Mené par la chanteuse Diana Ross, le groupe The Supremes—affiché sous le nom de Diana Ross & The Supremes à partir de juillet 1967—comprend également Mary Wilson et Florence Ballard. En raison de son problème d'alcoolisme excessif, Ballard est remplacée par Cindy Birdsong en 1967. Après un premier album plutôt terne, intitulé Meet The Supremes et sorti en décembre 1962, le trio réalise sa première percée avec « Where Did Our Love Go », sorti en juin 1964. La chanson débute d'abord en single [Motown 1060] puis, en août, se retrouve sur leur deuxième album [Motown S-621].
En plus de la chanson-titre, Where Did Our Love Go contient leurs deux hits suivants, « Baby Love » [Motown M 1066], et « Come See About Me » [Motown M-1068], tous trois signés H-D-H.
Ces trois morceaux représentent collectivement la première fois qu'un « backbeat » régulier est affiché de manière proéminente tout au long d'une chanson, fournissant un lien direct avec la principale composante rythmique du disco. Ce fil conducteur ressort encore plus fort sur « Stop! In the Name of Love » [Motown MT1074] sorti en février 1965, avec son rythme métronomique de 116 bpm, puis, en avril, sur « Back in My Arms Again » [Motown 1075]. Le dernier de cinq hits #1 consécutifs, les deux derniers apparaissant en juillet sur leur sixième album studio, More Hits by The Supremes [Motown S-627].
Au milieu des années 1960, je ne peux que dire...
« Baby, baby, I hear a symphony »
The Supremes, « I Hear a Symphony »
À suivre, James Brown et le funk et l'âme de Memphis.
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