Pourquoi le vinyle est meilleur que le numérique (et cela n'a rien à voir avec le son)

Pourquoi le vinyle est meilleur que le numérique (et cela n'a rien à voir avec le son)


Je ne pense pas qu’il soit possible de répondre à cette question, de façon politiquement correcte, sans froisser la moindre personne. À moins, bien sûr, que la réponse ne soit basée sur quelque chose d’autre que la qualité du son. Dans ce cas, je pense qu'il serait possible de proclamer publiquement que le vinyle est le format supérieur sans courir le risque d'offenser la plupart des gens. Et cela vient de moi, quelqu'un qui n'écoute presque jamais de vinyle.

Mais d’abord, permettez-moi de diverger un peu et de parler de quelque chose qui peut sembler n’avoir aucun lien avec le paragraphe précédent : le baiser. Si vous observez le baiser de la manière la plus objective, il ne s'agit que de deux personnes qui mettent leur bouche en contact, en fermant probablement les yeux. Donc, objectivement, on pourrait en conclure que le caractère merveilleux d'un baiser dépend de la position des lèvres et des paupières, ainsi que de leur souplesse et de leur douceur. Mais, nous savons tous que cela ne représente qu’une partie infime de l’expérience. Les sentiments que nous éprouvons à l'égard de la personne que nous embrassons affectent grandement la profondeur du moment. Cela a également beaucoup à voir avec l’historique de nos interactions passées avec cette personne et ce que ces dernières évoquent en nous. Et aussi, il faut l’avouer, l'attrait physique que nous éprouvons pour la personne avec qui nous partageons ce moment.

Cela a également beaucoup à voir avec notre degré de dévotion à ce moment précis. Il peut y avoir des exceptions, mais je ne pense pas que la plupart des grands baisers aient eu lieu dans un bureau de vente où les gens crient à tue-tête et s’en font constamment à propos de l'objectif mensuel. La distraction est un obstacle majeur à l’ampleur du potentiel de l'expérience.

Dans le même ordre d'idées, je dirais que l'analogique offre des expériences musicales plus profondes que le numérique. Nous retirons soigneusement le disque de sa pochette. Nous déposons le disque sur son plateau. En respirant le moins possible, nous soulevons le bras de lecture et positionnons l'aiguille sur le disque de manière qu'elle se pose précisément à l'endroit qui nous laissera tout juste le temps de retourner à notre siège et de nous installer avant que la musique commence.

Pendant la lecture de la musique, nous ne pouvons pas utiliser une télécommande ni une application mobile pour mettre la musique sur pause, l'arrêter ou passer à une autre piste. Nous ne pouvons pas, sur un coup de tête, dire : "Oh, je pensais vouloir écouter Mozart mais j'ai changé d'avis, je veux écouter Anthrax tout de suite !".

La lecture d'un vinyle ne nous permet pas de passer à différents morceaux, albums ou artistes depuis le confort de notre canapé. Il nous encourage à écouter la face entière d'un album et de pleinement apprécier le moment présent. Puis, lorsqu'une chanson ou une face est terminée, le silence qui s'ensuit est significatif ; il permet à la performance de s'imprégner. Il rend précieux le son qui l'a précédé.

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Ce qui est intéressant, c'est que nous n'avons pas à faire de choix concernant les règles de lecture des vinyles. Elles sont établies une fois pour toutes. Nous supposons souvent que nous serions plus heureux si nous avions plus de choix. Mais, en avoir trop peut être une source de stress qui nous prive de notre capacité à apprécier quelque chose. Cela peut nous distraire. La tentation d’arrêter un film à mi-chemin, par peur de ne pas avoir fait le meilleur choix, est beaucoup plus facile avec Netflix qu’elle ne l’était avec un film loué jadis au club vidéo. C’est l’ironie de la société moderne et la malédiction de la surabondance. Je le sais par expérience.

Lorsque je vivais en Corée, avant d'immigrer aux États-Unis, les céréales étaient alors une sorte de nourriture toute récente. Il y avait seulement deux options de disponibles: Corn Flakes et Frosted Flakes, toutes deux de Kellogg. Lorsque je suis arrivé aux États-Unis et que j'ai fait ma première visite dans une épicerie américaine, j'ai dû voir environ 30 sortes de céréales différentes sur les étagères. Je me souviens que les céréales avaient un goût incroyable en Corée. Pourtant, aux États-Unis, les céréales avaient un goût... banal. Et je ne crois pas que c’était parce que Kellogg avait mis un ingrédient magique dans leurs versions coréennes. Je dirais plutôt que c'est parce que le fait d'avoir un choix limité rendait ce que j'avais spécial. Cela aidait à concentrer mon esprit et, ce faisant, à améliorer la qualité de mon expérience. Je pense que l'on peut dire la même chose du vinyle ; son manque d'options de lecture joue en sa faveur.

Et puis, il y a les souvenirs liés au vinyle, qu'ils soient récents ou anciens. Beaucoup de ceux qui écoutent des vinyles sont tombés amoureux de la musique sous ce format. Ainsi, pour eux, le format analogique est associé à leurs artistes préférés et à une époque nostalgique. On peut dire la même chose des plus jeunes qui découvrent nouvellement le vinyle. Le souvenir de l'achat de leur première platine, l’expérience d’acheter un disque d'occasion dans un magasin d'occasion, la réminiscence de la grande pochette ou de la rotation du disque tel un carrousel. La liste des souvenirs analogiques peut être beaucoup plus longue que celle de ceux qui sont numériques car l'expérience analogique est tout simplement plus riche. C’est aussi une belle façon de faire l’expérience d’un passé qu’ils n’ont jamais vécu, les plus jeunes ont ainsi la chance de vivre une expérience similaire à celles que leurs parents ont vécu. Ce qui est de plus en plus rare dans le monde moderne d’aujourd’hui.

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À l'inverse, quels sont les souvenirs qu'évoque la musique en streaming, la grande nouveauté d'aujourd'hui ? Le souvenir de l'achat d'un nouvel ordinateur ? L’insécurité du début des années 2000, lorsque nous téléchargions un fichier musical sans savoir si ce n’était pas plutôt un virus qui allait infecter notre ordinateur ? Nous utilisons dorénavant notre ordinateur pour un grand nombre de choses et ce souvenir n'est pas particulièrement associé à la musique. Le souvenir de l'inscription à un service de streaming, peut-être ? Je n'ai pas vraiment tremblé d'excitation en créant mon compte Spotify et je suppose qu'il en est de même pour vous.

De par sa nature, la musique en continu est invisible et intangible. Bien sûr, des éléments physiques sont impliqués dans le streaming musical, comme un serveur, un disque dur ou un processeur. Mais, ce sont des produits qui existent à l'écart. Nous ne pouvons pas interagir avec un flux musical comme nous le faisons avec un vinyle, lequel nous pouvons tenir, toucher, sentir, nettoyer ou collectionner. Nier que tout cela affecte la façon dont nous faisons l’expérience de la musique revient à nier notre propre humanité.

Pourtant, j'écoute rarement des vinyles. Je suis un adepte de la musique numérique. Il y a plusieurs raisons à cela, la principale étant qu’un bon nombre des enregistrements que je chéris ne sont disponibles qu'en format numérique. En plus, je ne crois pas que la qualité sonore d'un format soit nécessairement meilleure que celle de l'autre. À mon avis, c’est en raison de l'expérience de l'utilisateur, celle-ci reposant sur l'intimité physique et les souvenirs, qui fait de l'analogique le format supérieur pour la lecture de musique.

C’est une question de relations. J'ai récemment découvert que 70 millions de titres sont actuellement disponibles sur les principaux services de streaming, ce qui m'a poussé à imaginer à quel point l'expérience serait anodine si je devais embrasser une femme pendant que 69,999,999 d'autres m’observaient en pleine action, tout en disant « hé, et nous ? ». La distraction constante des choix peut gravement diminuer notre capacité à profiter pleinement d'une chose. C'est comme ça avec les gens. C’est comme ça avec les films et c'est comme ça avec la musique.

Le streaming est pratique, bien sûr. Mais, je ne veux pas que la commodité soit la raison pour laquelle j'écoute du numérique. Quand j'écoute du numérique, ce n'est pas à partir d'un service de streaming ou d'un disque dur de 10 téraoctets. Je copie une poignée d'albums sur une petite carte mémoire et je m'engage à les écouter encore et encore.

De cette façon, je peux me concentrer davantage sur la musique et vivre pleinement dans le moment présent.

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