Dans la deuxième partie de cette série, je vous ai quitté en comparant les tests en aveugle effectués par des amateurs de vin à ceux effectués par des audiophiles. Pourquoi? Simplement pour vous démontrer qu’il est pratiquement impossible de distinguer et comparer parfaitement toutes les nuances que nos sens détectent entre deux nouveaux stimuli sur une courte période.

La mémoire auditive, également appelée mémoire échoïque, fait partie à la fois de notre mémoire sensorielle et de notre mémoire à court terme. Lorsqu’un son est capté par l’oreille, le processus de la mémoire auditive commence. Votre cerveau analyse cette information et l’enregistre comme une information sonore. La rétention de cette information ne dure pas plus de 3 à 4 secondes, une période suffisamment longue pour fournir à notre mémoire à court terme plusieurs sons différents qu'elle utilisera ensuite pour décoder la signification de ce qui a été entendu. Par exemple, une seule syllabe ne signifie pas grand-chose, mais plusieurs syllabes forment un mot, et une combinaison de mots forme une phrase au sens structuré. La mémoire auditive peut également combler les informations manquantes. Si vous n’entendez pas quelques mots ou notes dans une pièce musicale, votre mémoire auditive se chargera de puiser dans sa banque de données pour décoder cette partie absente.

Cette banque de données est située dans notre mémoire à long terme. Elle constitue notre connaissance auditive, construite au fil des années par diverses expériences et sensations qui ont été jugées importantes et utiles par notre cerveau.

Un grand sommelier sera capable de déterminer, lors d’une dégustation en aveugle, la région, le cépage et même l’année de certains vins. Pour ce faire, il fera appel à sa mémoire gustative qui contient une somme considérable d’informations. Mais toute cette information demande des années d’expérience, des études poussées, des centaines de dégustations, des papilles gustatives hors du commun et une mémoire perceptive phénoménale.

Un musicien ou chef d’orchestre de grand talent est en mesure de différencier les moindres subtilités d’une pièce musicale qu’il pratique et maîtrise depuis plusieurs années. En quelques secondes, la mémoire auditive de cette personne libère des dizaines de points de référence sonores. C’est une mémoire prodigieuse certes, mais elle a tout de même besoin de pratique, de temps et d’expériences, pour stocker des millions de bits d’informations permettant d’apprécier, par la suite, toutes les nuances musicales et sonores.

Lorsque vous écoutez de la musique, vous faites automatiquement appel à votre mémoire auditive et à votre mémoire à long terme. Vous comparez, instinctivement et instantanément, ce qui est stocké dans votre cerveau à ce qui est perçu à l’instant par votre ouïe. Les informations stockées dans votre mémoire sont le fruit de vos expériences passées, des points de référence créés lors de concerts, de spectacles et, pour certains, par la pratique d’un instrument de musique. Elles comprennent également les centaines d'heures passées à écouter de la musique sur votre chaine audio dans l'acoustique particulière de votre pièce.

« Mais Gilles! De grâce! Pourquoi parles-tu de mémoire dans une rubrique de câblage? »

J'y venais justement, plus précisément à propos de la sacro-sainte et bruyante théorie des négationnistes du câblage audiophile selon laquelle seul un test AB ou ABX en aveugle peut prouver sans l'ombre d'un doute qu'il existe réellement une différence sonore entre deux câbles non identiques. "C'est de la science çà, monsieur ! Et c'est le seul test qui soit valable !"

Les tests de comparaison en aveugle font appel à la mémoire à court terme, et non à la mémoire à long terme. La mémoire à court terme peut mémoriser tout aux plus sept éléments différents simultanément, pendant une durée maximale de 30 secondes. Ne vous demandez pas pourquoi c’est le test préféré des anti-câbles !

L’oreille humaine peut différencier 400 000 sons différents en faisant appel à la connaissance auditive (mémoire à long terme), lui donnant accès à des milliers de points de comparaisons à la vitesse de l’éclair. Comparer cela à notre mémoire à court terme est une blague de mauvais goût. Il est impossible pour notre mémoire à court terme de déchiffrer des milliers d'indices sonores et musicaux en les comparant rapidement avec un autre câble.

Nos connaissances auditives nécessitent du temps, de la répétition et de la pratique, ce qui signifie qu'elles ne seront pas sollicitées pour effectuer des comparaisons rapides, mais notre mémoire à court terme. Pire encore, ces tests sont généralement effectués avec un câblage inconnu de l'auditeur, sur un système audio que l'auditeur n'a jamais entendu auparavant, dans un environnement acoustique auquel l'auditeur n'est pas familier. Il n’existe donc aucun point de référence pour faire appel à la mémoire auditive à long terme. Pour en rajouter, après quelques écoutes, l’esprit de l’auditeur devient saturé, la mémoire s’embourbe et ne parvient plus à déceler les nuances. N’oubliez pas que la mémoire à court terme aime remplir les vides. Lorsque la fatigue s'installe, notre mémoire à court terme aura tendance à réguler ce qui est perçu, et à ce moment-là, tous les câbles finiront par se ressembler.

C’est pourquoi un audiophile, connaissant intimement la sonorité de sa chaine audio et l’acoustique de sa pièce d’écoute, peut instantanément différencier la palette sonore d'un câble utilisé depuis des années de celle d'un nouveau câble en cours d'évaluation. Pour les comparer, l’auditeur utilise également des pièces musicales qui lui servent de référence et qu’il a écoutées à de multiples reprises. Se fiant instinctivement à sa mémoire à long terme, l'auditeur est alors capable de discerner toutes les subtilités relayées par un autre modèle de câble, pour autant que le système audio soit suffisamment révélateur, que l'acoustique de la pièce soit acceptable et que les préjugés personnels soient mis de côté.

Pour mieux comprendre pourquoi il est si difficile de faire une comparaison de câbles en aveugle en utilisant une méthode scientifique, je vous invite à lire le travail de recherche effectuée par Milind N. Kunchur PhD à l’Université de la Caroline du Sud, intitulé “Cable Pathways Between Audio Components Can Affect Perceived Sound Quality”, et publié à l’AES (Audio Engineering Society).

En fait, les tests AB et ABX sont bien plus des exercices de mémoire que des moyens légitimes de comparer les subtilités sonores entre différents modèles et types de câbles.

La quantité d'informations qui parvient à l'oreille d'un auditeur est tout simplement trop importante pour être jugée sur une courte période. La façon dont notre cerveau, notre mémoire et notre audition fonctionnent, seuls et ensemble, est infiniment complexe. Plusieurs théories et études scientifiques existent sur le fonctionnement de la mémoire échoïque, mais à ce jour, aucun consensus n'a été atteint à ce sujet malgré les grandes avancées de la science. Il n’est donc pas surprenant que les câbles haut de gamme fassent l’objet d’opinions divergentes.

À ceux qui affirment que les instruments de laboratoire ont prouvé qu'il n'y a pas de différences sonores entre les câbles et que, par conséquent, les câbles ne peuvent pas avoir d'effet sur la reproduction du son, je réponds : à ce jour, il n'existe pas non plus d'appareil de mesure capable de mesurer la qualité du son. Il n'existe pas non plus d'appareil de mesure capable de décrire avec précision le goût d'un plat. Il existe des recettes qui peuvent nous aider à créer des plats ayant une certaine odeur ou un certain goût, mais, en fin de compte, ce sont les humains qui peuvent goûter, apprécier et juger.

Un multimètre ou un oscilloscope ne peuvent pas mesurer l'audition. Ni l’un ni l’autre ne peut mesurer le rendu sonore interprété par le cerveau de l’auditeur. Rappelez-vous la guerre de la distorsion harmonique (THD) des années 80 qui a presque détruit le marché de l’audio? En se concentrant uniquement sur l'aspect scientifique de la conception, les fabricants ont construit des équipements qui produisaient des quantités infinitésimales de distorsion harmonique. Les spécifications étaient extraordinaires et mesurables ! L'inconvénient ? Le matériel avait un son terrible !

Essayez de me convaincre que si la différence n’est pas mesurable, elle n’existe pas, et je vous répondrai que l’appareil capable de mesurer la perception auditive humaine n'a pas encore été inventé.

La science n’est pas statique. Elle représente une perpétuelle remise en question qui lui permet d’avancer. Au lieu de présumer que les différences sonores entre les câbles n’existent pas parce qu’elles ne sont pas mesurables, demandez-vous plutôt pourquoi vous n’êtes pas capable de les mesurer et inventez l’appareil qui pourra le faire. Car la réalité est que les différences non mesurables scientifiquement existent bel et bien.

Mes chroniques suscitent parfois des passions et parfois des commentaires disgracieux, agressifs ou impolis. J'ai été diffamé et harcelé par des personnes dont les opinions sont diamétralement opposées à mes écrits. Je me permets une suggestion amicale à ces personnes: prenez une grande marche à l'extérieur, puis écoutez quelques heures de musique relaxante pour faire baisser votre tension artérielle. Ensuite, avec un esprit ouvert, essayez de nouveaux câbles de qualité supérieure et appréciez le changement ! Vous pourrez me remercier plus tard !

Lire la quatrième partie ici.