En 2021, le National Baseball Hall of Fame and Museum de Cooperstown, dans l'État de New York, disposait d'une liste de trois noms connus (et, il faut bien l'admettre, d'une personne inconnue) sur sa liste de candidats potentiels à l'intronisation : Barry Bonds, Roger Clemens, Curt Schilling et... eum, Scott Rolen. Les statistiques de leur carrière sont impressionnantes, quelle que soit la mesure du baseball ou l'époque.

Bonds = .298 de moyenne, 762 coups de circuit, 1996 RBIs, 2935 hits ; Clemens = 354 victoires, 4672 SO, 3.12 ERA ; Schilling = 216 victoires, 3116 SO, 3.46 ERA ; et Rolen était plutôt bon.

Personne n'a été admis.

Il est vrai que l'année 2021 a été une sorte d'anomalie. Les deux principaux noms – Bonds et Clemens – étaient les héros et les vilains de l'ère des stéroïdes dans le baseball, avec toute la toxicité persistante que cela implique. Mais ce n'était pas sans précédent. La Baseball Writers' Association of America n'a intronisé personne en 2013 non plus et, en remontant le temps, elle ne l'a pas fait en 1996, 1971, 1965, 1960, 1958, 1950 et 1945. Même pas pour célébrer la fin de la Seconde Guerre mondiale ! Et dire qu'ils n'ont pas réussi à introniser quelqu'un n'est pas la bonne désignation – ils ont choisi de ne pas le faire. Ce qui nous amène au rock'n'roll.

Chaque année, aussi régulièrement qu'une chanson de rupture de Taylor Swift, le Rock and Roll Hall of Fame dévoile la liste des artistes pour sa cérémonie annuelle d'intronisation (19 octobre, Cleveland). Selon eux : « C'est une liste diversifiée qui s'étend de la pionnière du R&B/rock Big Mama Thornton aux superstars de la pop Cher et Dionne Warwick, et des rockers des années 70 comme Peter Frampton, Foreigner et Ozzy Osbourne aux icônes des années 90 comme Dave Matthews Band, Mary J. Blige et A Tribe Called Quest. »

Diversifiée est une façon de le dire. Méritante est une toute autre affaire. Et bien que certaines traditions annuelles soient accueillies et célébrées avec enthousiasme, même si elles reviennent automatiquement (on ne se lasse jamais de son propre anniversaire, n'est-ce pas ?), il y a une inéluctabilité dans la liste des intronisés au Rock and Roll Hall of Fame qui enlève un peu de son éclat, de ses paillettes et de sa splendeur.

Les premiers intronisés au Rock and Roll Hall of Fame, en 1986 ? Elvis Presley, James Brown, Little Richard, Fats Domino, Ray Charles, Chuck Berry, Sam Cooke, les Everly Brothers, Buddy Holly et Jerry Lee Lewis – c'est un peu comme si l'on nommait le Big Bang au Hall of Fame des Événements Universels Majeurs. Les Beatles, Bob Dylan, les Beach Boys, les Supremes et les Drifters ont été accueillis en 1988. Les Rolling Stones n'ont été admis qu'en 1989, et The Jimi Hendrix Experience a dû attendre 1992, tant la liste des premiers favoris était lourde et dense comme un trou noir. Et tout allait bien. Jusqu'en 2012.

En 2012, la liste des intronisés comprenait les Red Hot Chili Peppers. Intronisés ? Pourquoi pas inculpés ?

Soudainement, nous avons été confrontés à une sorte de version musicale populaire de ce que l'on appelle, dans le domaine de la copie de données, la « perte de génération ».

En d'autres termes, plus on s'éloigne de ce Big Bang musical, de cet éclatement de l'atome, moins on a de chances d'avoir une véritable grandeur devant soi, ou plutôt une longue liste de grandeurs. Ne nous emballons pas – dans le sillage des génies précurseurs, des faiseurs d'atomes cités plus haut, il y a eu, et il y a certainement, des artistes brillants, voire transformateurs. Mais les mots « Red Hot Chili Peppers » n'ont pas leur place dans cette phrase.

Pas plus que les mots « Dave Matthews Band ». C'est là que le Rock Hall se distingue des autres grâce à son domaine créatif : c'est la seule cérémonie d'intronisation qui soit véritablement performative. Contrairement aux autres Halls of Fame, ces intronisés exercent réellement leur métier pendant le Gala. Wayne Gretzky n'a pas manié son bâton jusqu'au podium lors de son intronisation au Hall of Fame de la NHL. Non, ici, les fanions, les ballons et les canapés ne sont pas accessoires, ils sont le but. Ce sont les performances—Chuck Berry, Keith Richards, Jerry Lee Lewis et Neil Young, Bob Dylan et Bruce Springsteen, Neil Young avec Led Zeppelin et les Pretenders, Prince et tout le monde sur While My Guitar Gently Weeps… Il doit y avoir une fête. C'est pourquoi le Rock and Roll Hall of Fame privilégie une bacchanale annuelle d'autocélébration, et pourquoi il y a autant d'intronisés qu'il y a de groupies lors d'une orgie de Mötley Crüe.

Cette année, il y a aussi le facteur « weasel-mode ». Si personne ne conteste le prix de l'influence musicale, décerné en l'honneur des légendes du blues Big Mama Thornton, Alexis Korner et John Mayall, qu'est-ce que cela signifie d'introniser Jimmy Buffett, Dionne Warwick, Norman Whitfield et le MC5 sous le nom de « prix de l'excellence musicale » ? Pour quoi les autres artistes ont-ils été intronisés ? Leurs chaussures ?

À un certain moment – et c'est précisément celui-ci – nous atteignons les artistes de deuxième, troisième et même quatrième rang. Pas sans talent. Pas sans succès. Pas sans notoriété. Mais pas particulièrement innovants ou essentiels non plus.

S'il doit y avoir un moment agréable dans le Gala, il sera lié à cette citation : « Vous savez quoi, je ne serais pas là même s'ils me donnaient un million de dollars... Je ne changerai jamais d'avis. Ils peuvent aller se faire voir. »

C'était Cher dans l'émission « The Kelly Clarkson Show », exprimant son mécontentement de ne pas avoir été intronisée au Rock and Roll Hall of Fame, peu de temps avant qu'elle ne le soit. Et en attendant qu'elle se décide à se taire sur ces mots - et en mettant de côté les artistes qui auraient dû être intronisés avant cette équipe de piètre qualité - sans plus attendre, voici un verdict très personnel sur les intronisés de cette année :

A Tribe Called Quest (oui, nous avons dépassé depuis longtemps la catégorie « rock uniquement ») ; Mary J. Blige (pas au premier tour) ; Cher (peut-être) ; Peter Frampton (ok) ; Kool & The Gang (ok) ; Ozzy Osbourne (il en fait déjà partie, mais c'est sûr), Foreigner (non), Dave Matthews Band (bien sûr que non, voir « Peppers, Red Hot Chili »).

Tout cela est logique à l'ère de la renommée avant le contenu. Pourtant, un Hall of Fame se définit autant par ceux qu'il exclut que par ceux qu'il inclut. Voilà peut-être la raison pour laquelle on ne l'appelle pas le Hall of Fame du mérite.