Et ce que vous pouvez faire.
Image du haut par OpenClipart-Vecteurs de Pixabay. Toutes les autres images sont de Jonson Lee.
Si l'on me demandait quel est, selon moi, l'attribut sonore le plus important en matière de qualité audio, je ne répondrais pas par l’imagerie ou la mise en scène sonore, mais par le volume. Plus que tout autre facteur, c’est le volume qui détermine si l’expérience d’écoute suscite un « wow » ou un « bof ». Je ne parle pas seulement du niveau sonore global, mais aussi de ses fluctuations d’un moment à l’autre, ce que l’on appelle la dynamique. La pratique consistant à réduire cette dynamique porte le nom de compression.
Pour illustrer le fonctionnement de la compression, j’ai enregistré un court extrait audio dans lequel je parle doucement pendant un moment, avant de terminer par un applaudissement bruyant. Vous trouverez ci-dessous une image représentant la forme d’onde de l’enregistrement brut :
Supposons que cet extrait soit destiné à une publicité radiophonique. Le clap final, qui atteint un pic maximal, occupe tellement d’espace qu’il m’empêche d’augmenter le niveau sonore global. Cela signifie que les parties plus calmes précédant le clap ne peuvent pas être amplifiées. Dans cet état, ma voix semblerait minuscule comparée aux voix plus puissantes de mes concurrents. Pour contourner ce problème, j’ai compressé, ou réduit, le volume du clap afin de libérer de l’espace, puis j’ai maximisé le niveau de sortie global, comme illustré ci-après :
Malgré son utilité, l’idée de compression n’est pas toujours bien accueillie par les amateurs de musique. Nous critiquons souvent un enregistrement pour sonner compressé, c’est-à-dire trop fort et manquant d’extension dans les hautes ou basses fréquences. Pourtant, la compression est présente à chaque étape de la production audio. Elle n’est pas maléfique en soi : elle est appliquée pour des raisons pratiques et musicales, afin de rendre l’enregistrement adapté à l’écoute domestique ou de lui donner plus de punch. Ce que je critique, c’est une compression excessive, appliquée au point de nuire à la musique.
Les albums classiques, comme Hotel California des Eagles, figurent parmi les victimes les plus évidentes de cette pratique. Ci-dessous, une comparaison entre sa toute première version CD (en haut) et la version remastérisée de 2013 (en bas) :
Vous pouvez constater que, dans la version remastérisée, presque tous les pics ont été tronqués pour augmenter le niveau global, ce qui donne une forme d'onde toujours forte et plate.
Qu’est-ce qui s’est perdu au cours de ce processus ? Vous pouvez le voir en ajustant le volume des deux versions et en zoomant. Ci-dessous se trouve la comparaison entre les deux versions, avec un zoom sur la partie de la chanson-titre où Don Henley chante « They stab it with their steely knives… », suivie d’une forte attaque de batterie. J’ai indiqué la troncature du volume de cette attaque dans des carrés rouges.
Vous pensez que les fichiers 24 bits « haute résolution » sont forcément meilleurs ? Voici une comparaison entre deux versions différentes de l’une de mes chansons préférées, « The Stranger », de Billy Joel :
On retrouve la même histoire ici...
Et que dire des remasters japonais haut de gamme ? Le marketing des labels, spécialement conçu pour séduire les audiophiles, pourrait laisser croire qu’ils s’efforcent de proposer un son moins compressé. Il n’en est rien. Voici un extrait d’un remaster japonais dit « audiophile » :
Dans les trois cas, l’intention semble évidente : faire en sorte que la musique remporte la guerre du volume. Mais elle ne fait que saigner, sans aucune victoire, car d’autres morceaux sont masterisés de la même manière. Comme dans bien des guerres, personne ne gagne.
Et pourtant, chaque fois qu’une de ces nouvelles versions sort, elle est encensée sur Internet pour sa « scène sonore plus vaste », ses « basses plus profondes », ses « détails accrus », et même sa « dynamique plus étendue ». Qu’est-ce qui se passe ici ? La réponse est simple : le volume. Lorsqu’il est augmenté, les parties plus en retrait de la musique deviennent plus audibles. Dans mes trois exemples, j’ai constaté que le volume initial était au moins deux fois plus élevé dans la nouvelle version que dans le CD original.
Et ne me lancez pas sur les fichiers diffusés en continu par les services de streaming. Ils sont encore plus bruyants que les CD remastérisés, ce qui indique qu’une compression encore plus importante a été appliquée.
Pour ceux qui souhaitent écouter de la musique numérique avec la dynamique originale préservée, la solution est simple : procurez-vous les CD originaux sortis à la fin des années 80 et au début des années 90. Il n’est pas toujours facile d’identifier la première version publiée, mais cherchez des indices, comme ce message expliquant ce qu’est un CD à un public vraisemblablement peu familier avec ce format :
Une autre option consiste à faire ce que je fais : utiliser le logiciel Audacity pour analyser le CD. Si la musique qu’il contient est trop compressée, vous pouvez le revendre si vous l’avez acheté ou le retourner, si possible. Je ne dis pas que tous les remasters sont coupables de surcompression—ce serait injuste envers les ingénieurs de remasterisation qui ont réellement amélioré la qualité sonore de certains enregistrements par des moyens appropriés—mais soyez prudent avec les sorties portant la mention « remasterisé » ou « édition spéciale », d’autant plus qu’elles tendent à coûter beaucoup plus cher que les CD classiques.
La majorité des CD d’albums classiques vendus aujourd’hui ont été remastérisés, ce qui signifie, dans la plupart des cas, une compression plus importante par rapport aux versions précédentes. Les services de streaming aggravent encore la situation, alors que la plupart des enregistrements pop des dernières décennies étaient déjà fortement compressés dès leur production. Aujourd’hui, la surcompression est devenue la norme dans le domaine de l’audio. Beaucoup ne s’en rendent même plus compte tant cela fait partie de nos habitudes.
La consommation de musique actuelle reflète un aspect de la vie contemporaine : nous sommes surstimulés par un flot bruyant et incessant d’informations. Cela nous fait oublier l’art de savourer la musique. C’est pourquoi, pour préserver votre sérénité, je vous invite à faire l’effort, de temps en temps, de vous détacher de cette frénésie. Prenez un vieux CD ou un vinyle dont vous savez qu’il n’est pas surcompressé et écoutez tout l’album en entier, sans vous laisser distraire par quoi que ce soit—surtout pas par votre téléphone portable.
Je vous assure que c’est un excellent moyen de… décompresser.
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