La nuit où Jeff Beck était là pour moi.

La nuit où Jeff Beck était là pour moi.


Jeff Beck, Rod Stewart, musique rock, PMA Magazine

"Cette vieille pièce de bois aux formes bizarres continue de me regarder en pleine face tous les jours en me disant : “Mais quoi, tu n’as pas encore commencé !’. Notre synergie est infinie." - Jeff Beck

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  À une époque assez rock'n'roll, alors que j'étais étudiant à l'université, avant que le journalisme ne me choisisse, je garais des voitures dans un terrain de stationnement en gravier d'un quartier mal famé de Montréal, situé derrière un bar de danseuses nues et d'autres entreprises peu recommandables.

Alors que je sortais avec la fille la plus intelligente (pardon, la personne la plus intelligente) de l'école - et peu de temps avant de devenir le critique rock de la Gazette de Montréal - je passais d'un emploi d'été horrible à un autre pire, profitant de la douce misère estivale de la pauvreté juvénile. Un ami dont le nom m'échappe m'avait qualifié de "brillamment inemployable ".

Et par une nuit étouffante de fin d'été, Jeff Beck s’est lancé dans un miraculeux rock'n'roll qui est arrivé juste au bon moment. Voici une raison pour laquelle c'est important.

Le soir en question, j'ai fait ce que font les préposés de stationnement : m'asseoir dans la "cabane" des préposés, une cabane de 4 pieds sur 4 pieds muni d’une simple ampoule et d’une prise de courant, en attendant le prochain craquement graveleux de voitures tout en écoutant la station de rock locale, CHOM-FM, sur un boombox. En ce sens, ce travail ressemblait de loin - et je dis bien de loin - à la vie d'un groupe de rock en tournée : beaucoup d'attente avant de passer à l'action. Puis, comme un mirage sorti d'un film de Stephen King, une Cadillac dorée est entrée dans le parking vers 22 heures.

À première vue, il n’y avait rien d’inhabituel; à seconde vue, la voiture n'affichait pas de plaques d’immatriculation. Le mec de la Cadillac est apparu vêtu d’une veste en cuir marron, d’un jean et de bottes de cowboy, menaçant et jurant en français, et sans trop s'approcher, il a lancé les clés, a tourné sur ses talons et est parti, tandis que je criais quelque chose à propos du paiement. Heureusement, il n'a pas entendu. Et le voilà parti, en direction du bar de strip-tease. Jeff Beck attendait, au sens figuré, dans les coulisses.

Après avoir garé l’étrange voiture, je suis retourné à ma cabane. J'ai écouté d'un air sombre les classic rock à la radio, je me suis interrogé sur l'inemployabilité et l'avenir, et j'ai écrit à la main la neuvième d'une série de douze lettres d'amour et de complaintes à ma petite amie qui était en vacances dans un endroit sûrement fabuleux avec sa famille. Et trois heures plus tard, la scène du film est passée de King à Scorsese.

Jeff Beck, Rod Stewart, musique rock, PMA Magazine
Avec Rod Stewart
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On entendait le mec revenir pour la prochaine scène, alors que ses talons faisaient éclater le gravier, mais il y avait une différence. Ayant passé la nuit dans le tripot "pour gentleman seulement", il avait maintenant une jeune femme à talons hauts et robe exotique sous chaque bras.

Talons aiguilles. Sur du gravier. Alors qu'ils titubaient vers la cabane et que j'en sortais, le mec s'est mis à aboyer en français en réclamant ses clés. Eh bien, monsieur, il y a le petit problème des 12 dollars de frais... c'est alors qu'il a décroché son bras droit de la fille n°1 et a sorti un revolver. Les dames, il faut le dire, n'ont pas été choquées ou même surprises par cela. Votre préposé du parking a eu une réaction différente. Le mec n'allait pas payer. J’ai bien compris. Les frais ont été vite supprimés, et ils sont partis en titubant, s'entassant à l’avant de la Cadillac et faisant voler les graviers partout en quittant les lieux.

Rétrospectivement, l'histoire est d'un comique burlesque maintenant. À ce moment-là, malgré le temps superbement chaud, c'était comme si une trappe s'était ouverte mettant fin à mon été de jeune damné.

Je ne sais pas qui était le DJ de CHOM à l'époque, mais au plus creux moment d'une nuit abyssale, il ou elle a mis en marche une chanson de Jeff Beck et Rod Stewart - une reprise de "People Get Ready" de Curtis Mayfield, le classique immortel sur le thème du gospel avec le légendaire pouvoir mystique de sauver l'âme des damnés. Martin Luther King Jr. l'avait même nommé l'hymne non officiel du mouvement des droits civiques. Ce soir, il avait une signification différente.

Quel est le pouvoir salvateur d'une chanson qui arrive au moment liminal ?

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Cela aurait pu être The Who, Dylan, Muddy Waters, The Clash, Stevie Wonder ou 157 autres artistes. Mais c'était Beck et Rod. Il y avait une cassette dans le boombox. J'ai appuyé sur 'enregistrer’. J'ai écouté les jeux impeccables et les solos noués de Beck qui se déployaient comme une corde lancée dans le fond du puits, et la voix soudainement engagée de Rod, disciple de la soul écossaise qu'il est/était. Cette chanson, je l’ai rejouée une douzaine de fois ce soir-là, sonnant et résonnant dans la nuit montréalaise sur le gravier étincelant. Ce qui semblait être la dernière d'une série de soirées sans issue s'est transformée à chaque écoute en un moment « Pas ce soir, Satan, pas ce soir ». Je passais du crime au sublime.

Quel est le but ou la valeur d'une chanson ? Le but est l'expression. La valeur est l'effet. Un guitariste solitaire qui écrit une chanson dans sa chambre. Et voilà que 15 000 filles et garçons ressentent son pouvoir dans leurs jeunes vies.

Ou la vôtre. Ou la mienne. Je n'ai jamais rencontré ou interviewé Jeff Beck - il n'a jamais été mon guitariste préféré - et il fait désormais partie de l'éther et de la gravité iconique de notre patrimoine musical. Mais en une nuit, une chanson peut faire toute la différence pour quiconque se sent perdue à jamais. Pourquoi elle est enregistrée, pourquoi elle est entendue. Alors merci à ce DJ, en cette nuit blanche, d’avoir tout arrangé, d’avoir lié la mortalité de l'homme à l'immortalité du musicien, de par cette gratitude immuable, soyez bénis les garçons, pour avoir repris une chanson qui n'avait pas besoin d'être reprise, mais qui a été bien reprise. Dans ce sens, il n'y a pas d'"addition par soustraction". Il n'y a que l'addition. La vie est une addition.

"Je ne suis jamais resté assez longtemps pour savoir si je manquerais à quelqu'un. Ça doit être ça le rock'n'roll. Ici aujourd'hui, parti demain." - Jeff Beck

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