"Soyez vous-même, tous les autres sont déjà pris." - Oscar Wilde

Dans le heavy metal, comme dans n'importe quel domaine de la vie, rien ne compte plus que l'identité. Se connaître, être soi-même, s’approprier ce que l'on est, comme le grand sage du rock'n'roll, Oscar Wilde, l'a si profondément observé. Et on aurait pu penser que Judas Priest l'aurait possédé jusqu'à ses pantalons de cuir en sueur.

On aurait pu penser qu'un groupe s’étant frayé un chemin hors de Birmingham, en Angleterre, aurait connu cette quiddité. Mais non. Lorsque Judas Priest a annulé sa énième retraite et annoncé le "50 Heavy Metal Years Tour" cette année, il a failli réaliser la plus grosse gaffe de la marque depuis le Nouveau Coke : licencier le second guitariste Andy Sneap et décider de transformer l'un des quintettes les plus importants (sinon le plus important) du métal en un quatuor.

Heureusement, Priest a été plus malin que Coca-Cola. Transformer leur quintette en quatuor n'a duré que 5 jours. Dans un rare moment de retournement d'orgueil, le chanteur Rob Halford - qui avait expulsé le guitariste Sneap et déclaré que le groupe passerait à quatre - a reconnu sa colossale erreur et a renoué avec son guitariste juste à temps pour la tournée très réussie du 50e anniversaire du groupe. Ainsi, en plus du spectacle d'une grosse pointure faisant son mea culpa plutôt que de redoubler son erreur scandaleuse, nous avons eu droit à un moment d'enseignement du métal. Connais-toi toi-même.

Examinons donc le dossier. Même si ce n'est pas de notoriété publique dans les cercles polis, Judas Priest a eu une série assez solide d'albums de métal de bonne à très bonne qualité, de Stained Class (1978) à Screaming for Vengeance (1982), avec l'inénarrable British Steel (1980) considéré à juste titre comme l'un des disques fondamentaux du genre. Ai-je mentionné qu'ils venaient de Birmingham ? Vous avez entendu parler de "Swingin' London", de Mary Quant et de ce genre de choses anglaises et groovy ? Ce n'était pas le cas à Birmingham.

"Quand on était gamins et qu'on allait à l'école, on passait devant ces fonderies de métaux et on voyait le métal en fusion sortir des grandes cuves", a déjà dit Halford. "Nous respirions littéralement les fumées de ces usines métallurgiques, respirant le métal avant même que le heavy metal ne soit inventé. À l'école, je prenais mon cours de littérature anglaise et la classe tremblait à cause des grosses machineries."

Ils ont donc grandi dans un nuage de soufre, dans une ville de tuf. C'est ce qui les a définis, et cette identité a fini par se répercuter sur les ados du monde entier qui ont aussi grandi dans des villes couvertes de nuages de soufre. Judas Priest a connu de nombreux changements à ses débuts avant d'enfin établir son format/son qui a poussé des dizaines de milliers de rebelles couverts d'acné à se mettre au cuir. C'est un groupe qui a eu un chanteur nommé Al Atkins. Aucun groupe n'allait réussir avec un vendeur d'assurance nommé Al Atkins.

Ils ont décidé d’aller avec Halford. Et en termes de chant, à moins que l'on considère la version Bon Scott d'AC/DC comme du "métal" (et ce n'est pas le cas), Judas Priest a sans doute le meilleur chanteur de l'histoire du genre. Oui, pas Ozzy, qui est plus une catégorie qu'un chanteur. Et pas Dio, qui est adoré, mais qui a toujours semblé être un peu un gag d'opéra. C'est Rob Halford, à la voix d'alarme à quatre octaves, suivi par le son en spirale des guitares jumelles de KK Downing et Glenn Tipton, qui a codifié le genre avec des riffs mortels martelant des enclumes derrière ce chanteur butch briseur de verre. Ils ont également apporté des chansons dont les titres mêmes définissaient un mode de vie : "Heading Out to the Highway", "Breaking the Law", "You've Got Another Thing Coming".

En cours de route, pour rire, le groupe a également codifié le look avec des tenues de culture cuir à pointes et l'entrée en scène de Harley-Davidson.

Oui, en vérité, vous vous connaîtrez vous-mêmes, ont décrété les Überlords du métal du haut du "Molten Mount ". Et pourtant... il y avait deux autres tests d'identité à venir.

En 1990, Judas Priest a été le premier groupe à être poursuivi en justice pour avoir essayé de tuer ses fans avec des messages subliminaux de type "tuez-vous" dans la chanson “Better By You, Better Than me” (qui est une reprise, en passant). L'affaire a finalement été rejetée, et Halford a déclaré avec enthousiasme que les messages subliminaux appelant les fans à se suicider ne seraient pas, à proprement parler, bons pour les affaires. Vous pourriez plutôt leur demander de façon subliminale “d'acheter plus de nos disques".

Et en termes d'identité, y a-t-il quelque chose de plus définitif que de faire son "coming out " en tant qu'homosexuel quand on est le leader de Judas Priest ?

Halford a fait sa sortie du placard en 1998, mais quiconque remonte à la chanson “Raw Deal“ (1977) aurait pu s'en douter (exemple de paroles : "La scène m'a foutu en l'air / J'ai rencontré des contacts / Puis les grands garçons m'ont aperçu et l'ont su"). Plus important encore, cette base de fans est, comme la plupart des fans de métal, extrêmement loyale. Je me souviens qu'un rockeur non-métal a provoqué un de ces fans loyalistes lorsque Halford est sorti du placard. Oh oh ! Des problèmes à venir dans le monde du métal !

Le fan a demandé : "Va-t-il toujours pousser ses cris ?"

"Euh... je suppose que oui..." 

"Alors qu'est-ce que ça peut bien me faire ?"

Tous ces exemples cités ci-dessus... ça fait beaucoup d'identité. Et de quoi parle le heavy métal, si ce n'est de ça ?

Qu'est-ce que le métal, si ce n'est pour trouver sa tribu ? Pour généraliser au point de se battre dans la rue, les premiers métalleux étaient des garçons de la classe ouvrière et des cols bleus des banlieues à la recherche d'autres exilés et marginaux. Oui, il y avait des durs dans la culture métal. Et pour chacun d'eux, il y avait trois nerds qui cherchaient à s'émanciper en libérant leur testostérone. Jusqu'à aujourd'hui. Certains pourraient suggérer qu'un métalleux qui a trouvé sa tribu n'est qu'un plouc qui ne peut pas se plier à la plus médiocre des catégories d'emploi, quand il ne s'abîme pas dans des images d'elfes. Cependant, si vous avez déjà assisté à un festival de métal comme Heavy Montréal, vous savez qu'il n'y a probablement pas de groupe de fans du genre qui voyage mieux, ou qui soit plus uni lorsqu'il se rassemble. Ils sont loyaux. Et ils savent qui ils sont.

Alors, revenons à Birmingham. Quand Judas Priest a viré Sneap, il a été blessé. Producteur prolifique de métal (100 albums !), Sneap avait été trié sur le volet pour remplacer Glenn Tipton en 2018 lorsque ce dernier a dû prendre sa retraite à cause de la maladie de Parkinson (KK Downing est parti et a été remplacé par Richie Faulkner en 2011).

Judas Priest était initialement un groupe de quatre musiciens, au 9e siècle. Était-ce une bonne idée pour leur 50e anniversaire ? Comment se porte le nouveau Coca ? La fanbase ne l'accepte pas. La fanbase a poussé des cris d’orfraie. Ne me dites pas quel est mon groupe préféré ! Ils voulaient les guitares jumelles en spirale. Ils voulaient le vrai Judas.

Et dans une rare fin joyeuse, en 2022, ils l'ont eu. Après avoir tout foutu en l'air, Halford a finalement plié sous la pression. "Bien sûr, ça m'a explosé en pleine gueule, n'est-ce pas ?", a-t-il dit.

“Faire quelque chose comme un groupe à quatre maintenant aurait été ridicule, insensé, fou, à côté de la plaque, bois une tasse de thé et relaxe. Je pense que mon cœur était au bon endroit, mais je ne suis pas le premier musicien à avoir eu une idée stupide."

Ce qu’il n’est pas. Mais il est peut-être l'un des premiers à le démystifier. Et maintenant qu'ils sont de retour sur les rails, les critiques de la tournée anniversaire sont, comme on pouvait s'y attendre, excellentes. Rob a 70 ans et il est encore capable de jouer les sorciers. Andy Sneap a 52 ans, donc c'est un enfant. Ils peuvent probablement faire ça pendant un bon moment encore. Le groupe a été nominé au Rock & Roll Hall of Fame pour la troisième fois. "C'est merveilleux", a déclaré Halford à Billboard. Ce serait sûrement quelque chose que (Judas Prêtre) Priest et leurs heureux fans peuvent célébrer chastement ensemble.