Vieille blague facile : Bono et The Edge entrent dans un pub irlandais à Anywheresville, le propriétaire les voit et dit : « Oh, pas encore U2. »

Mais si, c’est bien eux, et pour un moment. Dans leur plus récente réinvention gymnastique (U3 ? U7 ?), le groupe inaugure le MSG Sphere de Las Vegas, tout en y prenant résidence avec 29 dates prévues entre le 29 septembre et le 16 décembre 2023, consacrées à leur album Achtung Baby de 1991, une autre réinvention marquante dans leur carrière. Oui, comme des mafieux, des politiciens véreux ou votre grand-mère, U2 débarque à Vegas pour parier gros—y compris sur leur propre pertinence continue.

Mais d’abord, parlons du lieu. La Sphère, un projet à 2,3 milliards de dollars – « La plus grande sphère de la Terre, après la planète elle-même », selon USA Today – a révélé pour la première fois son écran LED de 300 pieds le 4 juillet, illuminant le désert néon de Vegas. C’est… perturbant. Cet écran vidéo extérieur, le plus grand au monde, enveloppe toute la surface visible de la salle et évoque moins un OVNI qu’un futur omniprésent, un ovule extraterrestre attendant d’être fécondé. Et qui d’autre pour jouer ce rôle que les 4 « petits nageurs » connus sous le nom de U2 ? Toutes mes excuses pour cette image mentale.

Et bien que ce ne soit pas le premier incident de U2 à Vegas (dont nous reparlerons plus tard), c'est définitivement une première, car le groupe se produira sans le batteur Larry Mullen Jr, qui se remet ou se remettra d'une opération du dos. Nous y reviendrons plus tard. Mais commençons par l'annonce du groupe sur le pourquoi et le comment.

"En fin de compte, U2 n'a pas joué en live depuis décembre 2019 et nous avons besoin de remonter sur scène et revoir les visages de nos fans. Et quel endroit unique ils sont en train de construire pour nous, là-bas dans le désert... Nous sommes le bon groupe, ACHTUNG BABY est le bon album, et la Sphere est le bon lieu pour faire passer l'expérience de la musique live à un niveau supérieur.

« C’est ce que U2 a toujours cherché à faire avec nos scènes satellites et nos installations vidéo, notamment lors de la tournée ZOO TV, qui s’est achevée à Tokyo il y a 30 ans cet automne. La Sphere est bien plus qu’un simple lieu : c’est une galerie d’art, et la musique de U2 sera partout, projetée sur chaque surface. »

Que l’on regarde cela de l’intérieur ou de l’extérieur, cette déclaration d’intention place la résidence comme quelque chose qui doit absolument, positivement, indéniablement et irrémédiablement se réaliser. Je veux dire, comment pourrait-il en être autrement ?

Vegas 2023 ne sera pas la première fois que U2 tente sa chance et se risque à un changement d’identité. Mais les fidèles décrocheront-ils un sept… ou des yeux de serpent ?

Les deux cas ont déjà un précédent.

Retour au 25 avril 1997. Sam Boyd Stadium, dans le désert du Nevada. U2 lance le PopMart Tour à Vegas. J’étais là, parmi les invités prestigieux : James Caan, Sigourney Weaver, Coppola, De Niro… « Eh bien… on dirait que ça va être une de ces années », a déclaré Bono devant 38 000 fans. « Je me suis réveillé sous une pyramide, j’ai regardé dehors et j’ai vu l’horizon de New York, le château du roi Arthur au coin de la rue… c’est la seule ville au monde où personne ne remarquera un citron de 12 mètres. »

Le citron géant était un accessoire de scène. Mais il incarnait aussi tout le spectacle, alors que le groupe peinait à maîtriser un set d’ouverture tentant de fusionner l’ironie archétypale de l’album Pop avec le catalogue plus sincère de U2. Voici ce que j’écrivais dans ma critique du concert pour le Montreal Gazette :

« Sur cette mini-scène, Bono et The Edge ont offert une sérénade à la foule avec If God Will Send His Angels, avant de complètement rater le nouveau single Staring at the Sun. Le tempo s'est emballé au premier refrain, la chanson s'est effondrée, et Bono a confié : “Nous sommes juste en train de nous disputer en famille.” »

Peut-être que le groupe avait été secoué par la performance incendiaire de Rage Against the Machine en première partie. Zack de la Rocha a rappé Ghost of Tom Joad de Springsteen comme une protestation brute et directe, lançant un provocateur « This is a rebel song », une pique à la célèbre déclaration des années 80 de Bono. Bono a également multiplié les couacs vocaux, ce qui n'a fait qu'ajouter à l'euphorie générale. À un moment, The Edge chantait Daydream Believer en karaoké ; l'instant d'après, 15 lasers verticaux convergeaient à un point situé à près d’un kilomètre d’altitude, tandis qu’un ciel déchiré se transformait en un Bullet the Blue Sky tout aussi chaotique.

En 2001, en revenant sur cet épisode, j’ai interviewé le bassiste Adam Clayton. Je lui ai montré une photographie où il apparaissait vêtu d’une tunique orange, de lunettes blanches et jouant une basse jaune futuriste, ce qui l’a fait rire lui-même.

« Cette tournée Pop a été... géniale à bien des égards, mais je pense que nous avons commis quelques erreurs en cours de route. Je pense que nous aurions dû être plus prudents. Mais nous n'avons pas donné au disque suffisamment de temps pour que les gens apprennent à le connaître. » C'est discutable. Mais même lui était conscient que le groupe avait souffert de son image.

Ah, un jour saint, le lendemain pécheur ! Un jour, on brandit le drapeau blanc, on proclame : « Ce n'est pas une chanson de rebelles », on lutte contre l'apartheid et on se promène dans les bureaux ovales, les salles de réunion et les salles de bal pour sauver l'Afrique... L'instant d'après, on devient un vilain grippe-sou. En 2006, il y a eu l'imbroglio du fisc, lorsque U2 a transféré sa maison d'édition d'Irlande aux Pays-Bas pour payer moins d'impôts. Dans leur pays, ils ont été accusés de « voler les pauvres du monde » et d'« évasion fiscale ». Le chanteur a insisté sur le fait qu'il n'y avait aucune hypocrisie et que le groupe était en « totale harmonie » avec le point de vue du gouvernement irlandais sur la fiscalité : « Au cœur de l'économie irlandaise, il y a toujours eu la philosophie de la compétitivité fiscale, qui a permis au pays de sortir de la pauvreté. » Et d'ajouter : « Je comprends que cela ennuie beaucoup la gauche grincheuse. »

Oui, c'est vrai. Ça ne faisait pas très bonne impression.

Mais ce faux pas moral n'était rien comparé à la gaffe notoire connue sous le nom d’Applegate (avec toutes nos excuses à l’actrice Christina), lorsque U2 a commis un fiasco marketing d’envergure millénaire en méprenant fatalement toute une génération : leur nouvel album de 2014, Songs of Innocence, a été chargé directement dans les bibliothèques iTunes de 500 millions d’utilisateurs à travers le monde, qui ne pouvaient pas le supprimer.

Ce que le groupe voyait comme un cadeau grandiose et magnanime, ainsi qu’un coup de maître en termes de branding pour atteindre les jeunes. Mais les réactions négatives furent rapides, car des millions de milléniaux ont perçu cette manœuvre discrète comme une intrusion dans leurs données, voire une violation. Parmi les commentaires mémorables : « L’album gratuit de U2 est, euh, trop cher. » Apple a finalement dû créer un outil pour permettre aux utilisateurs de supprimer l’album.

Mais revenons à 2023 : y a-t-il un meilleur endroit pour les pécheurs que Las Vegas, n’est-ce pas ? La salle Sphere de U2 sera un colosse de 388 pieds de haut, avec une capacité de 17 500 à 20 000 spectateurs, dans un cadre audiovisuel ultramoderne comprenant 580 000 pieds carrés de panneaux LED programmables. Tout cela est très impressionnant, mais cela ne répond pas à l’élément manquant, cette véritable « énorme éléphant dans la pièce », qui plane comme un nuage sombre au-dessus de cette résidence à Vegas :

Le batteur.

Ne nous emballons pas. Larry Mullen Jr. ne figurera jamais parmi les grands techniciens virtuoses de la batterie. Il tient simplement le rythme dans U2, et honnêtement, c’est tout ce qu’un batteur peut faire dans ce groupe : il n’y a pas beaucoup de place dans ces chansons pour la créativité rythmique, et absolument aucune pour l’improvisation. Pas que cela change grand-chose, car Larry ne sera pas à Vegas. Écarté à cause d’une opération, son siège sera occupé par quelqu’un nommé Bram van den Berg.

Qui ? n’est même pas la bonne question ici. Essayons plutôt : Pourquoi ? Parmi les vieux clichés qui parsèment le récit du rock’n’roll, aucun n’est plus prégnant que celui de la « fraternité ». Le gang des outsiders, nous contre le monde, la loyauté à toute épreuve sur la route. On reste soudés, mec !

En fait, ce vieux cheval de bataille est sans doute le plus grand mythe du rock. En matière de loyauté au-delà du devoir, un exemple emblématique vient à l’esprit : Def Leppard, qui a inventé une batterie spéciale lorsque Rick Allen, membre du groupe, a perdu son bras dans un accident de voiture. Lors d’une interview entre le chanteur Joe Elliot et l’ancien frontman de Van Halen, Sammy Hagar, Elliot a expliqué : « Lorsque Rick a perdu son bras, on était tellement soudés—seulement cinq ans après la création du groupe—qu’on s’est dit : “On ne vire pas son frère de la famille parce qu’il a un accident.” » À ce moment-là, Hagar a recraché sa tequila et proclamé que ce geste était « inédit dans le rock ».

« Je veux dire, j’ai été viré de tellement de groupes », a répondu Hagar. « Vous montez tout en haut avec ces gens, vous vendez des millions de disques, vous faites tout ça, et tout à coup, ils vous jettent dehors pour une histoire d’ego ou autre chose. »

Ce qui, après tout, est le véritable code du rock’n’roll. Bien sûr, il y a une autre dimension : Larry est l’adolescent qui a affiché cette annonce sur le tableau du lycée Mount Temple : « Drummer seeks musicians » (battre la mesure, haha). Ce qui signifie que, malgré l’immensité de Bono, selon les règles éternelles du R’n’R, U2 est en réalité le groupe de Larry.

Peu importe. C’est Vegas, où de telles platitudes se font fracasser comme Joe Pesci sous des battes en aluminium. Après tout, qu’est-ce que Vegas, sinon l’âme démoniaque de l’Amérique ? Et le but du rock’n’roll n’est-il pas d’y entrer… et de voir si vous en ressortez avec votre propre âme intacte ? Laissons à U2 leur résidence, mais faisons-le dans un esprit biblique digne du groupe : 40 jours et 40 nuits dans le désert, les gars.

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