
Autrefois, nous souffrions en silence.
Et puis, nous souffrions en musique.
Mais éventuellement, prendre soin de soi s’est mis à coûter aussi cher qu’une voiture d’occasion. Et dans le no man’s land entre le consumérisme et la thérapie, on s’est retrouvé à devoir choisir entre acheter un casque d’écoute antibruit ou atteindre la paix intérieure. C’est ainsi qu’est née la dépression nerveuse haute fidélité.
Certains vont en thérapie. D’autres font du yoga. Et puis il y a ceux et celles qui s’allongent par terre, écoutant en boucle Rumours de Fleetwood Mac jusqu’à ce que leur âme commence à s’exfolier. Tout ça est valide. Tout ça est réel. Mais une seule de ces options exige un DAC, un ampli et une interface audio capable de lancer un petit satellite. Et pourtant, personne ne parle du coût financier de viber.
La quête du bien-être est devenue un sport de luxe, et les audiophiles en sont les dernières victimes. Ce qui n’était au départ qu’un simple désir d’entendre le grattement d’une guitare sans compression s’est mué en une véritable course aux armements spirituels. Car si votre système audio ne coûte pas plus cher que vos études, êtes-vous vraiment en train de guérir ?
La musique devait rimer avec repos. Reconnexion. Silence. Aujourd’hui, elle rime avec taux de latence et réglages d’impédance. On ne peut plus simplement ressentir les choses, il faut les vivre en FLAC 24 bits, diffusées par des enceintes en acajou, avec des câbles tissés à la main qui vous murmurent vos insécurités en stéréo sans perte. Et que Dieu vous garde si la courbe de réponse en fréquence n’est pas parfaitement plate — car rien ne dit « croissance émotionnelle » comme passer des heures à décortiquer le rapport signal/bruit sur un forum obscur à 2 h du matin. Après tout, si la distorsion harmonique totale dépasse 0,001 %, êtes-vous vraiment en train de guérir ? Ou êtes-vous objectivement dans l’erreur ?
Mais quand la basse tombe pile comme il faut, et que vos tourments existentiels ont soudain une bande-sonore, toutes les pièces s’emboîtent. Vous sanglotez, oui, mais sur le plan sonore ? C’est impeccable. On dirait presque que vos mécanismes d’adaptation s’alignent. Félicitations, vous avez orchestré la tristesse.
Prendre soin de soi n’est presque jamais gratuit. La haute fidélité non plus. Quelque part, quelqu’un vient de débourser 2 500 $ pour un casque d’écoute capable de transformer son angoisse existentielle en interlude de jazz feutré. Et honnêtement ? Tant mieux pour eux. Le reste d’entre nous essaie de viber en 128 kbps, en se demandant si, un jour, on pourra se payer un peu de clarté — émotionnelle ou autre.
Signez la pétition. Exigez des DAC financés par l’État, des plateformes de streaming subventionnées, et des réparations émotionnelles sous forme de casques magnétiques planaires. Militez pour la nationalisation de la distribution d’amplis, pour que la réduction de bruit devienne un droit humain fondamental, et pour des envois mensuels de vinyles livrés par la poste. Battez-vous pour une couverture universelle des bonnes vibes. Parce que si le monde doit s’effondrer, la moindre des choses, c’est de l’entendre en haute définition.
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