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Chroniques du Hard et du Heavy, Ep 5: Uriah Heep, Black Sabbath, Led Zeppelin

Claude Lemaire met en lumière trois albums clés de 1970 - Uriah Heep, Black Sabbath et Led Zeppelin - qui ont fusionné le prog, le blues et le folk pour donner naissance à ce qui allait devenir le heavy metal.

Chroniques du Hard et du Heavy, Ep 5: Uriah Heep, Black Sabbath, Led Zeppelin

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Uriah Heep, 1970

PRÉAMBULE

Bienvenue dans cette série où j'explore l'histoire du hard rock, du heavy rock et du heavy metal, y compris les nombreux sous-genres du metal. Vous y trouverez, et j'espère découvrirez, des artistes et des albums clés qui vous permettront de mieux comprendre et apprécier cette facette fascinante d'un rock puissant et souvent rebelle. Les sélections seront présentées dans un ordre chronologique basé sur leur date de sortie originale. Je n'entrerai pas dans les détails de la qualité sonore des enregistrements ; il suffit de dire que ces productions rock sont parfois crues et agressives, ce qui est tout à fait pertinent compte tenu de la nature de la bête. Ne vous attendez donc pas à des sonorités parfaitement polies dignes des démos de Steely Dan, Supertramp ou Eagles. La qualité sonore n’a pas été un critère de sélection pour cette série, ce qui signifie que vous trouverez un éventail de niveaux, allant du très médiocre (souvent en raison d'une surcompression ou de choix d'égalisation douteux) à du très impressionnant, enthousiasmant et captivant.

Comme leurs compatriotes londoniens Led Zeppelin, King Crimson et Deep Purple, Uriah Heep a joué un rôle clé dans l’élaboration du son du heavy metal, du hard rock, du blues rock et du rock progressif, mêlant des éléments de chacun pour forger un style qui leur est propre.

Face A
Côté B

13 – Uriah Heep – …Very ‘Eavy …Very ‘Umble. Vertigo – 6360 006 (UK), (juin 1970), 33 1/3 rpm. Genre : heavy metal, heavy rock, hard rock, prog rock, prog metal, blues rock.

D’abord appelé Spice, le groupe britannique — composé de David Byron au chant, Mick Box à la guitare, Ken Hensley à l’orgue, au mellotron et au piano, Paul Newton à la basse, et Ollie Olsson à la batterie et aux percussions, avec des contributions ponctuelles d’Alex Napier et de Keith Baker à la batterie — change rapidement de nom pour devenir Uriah Heep, inspiré du personnage du roman de Charles Dickens, David Copperfield. Compte tenu de l’utilisation marquée de l’orgue dans leur musique, de la voix aiguë de David Byron et de l’époque à laquelle ils apparaissent, il n’est guère surprenant que certaines chansons d’Uriah Heep évoquent fortement le Deep Purple du début des années 1970. « Gypsy » ouvre cet album de huit titres et s’impose de loin comme le morceau le plus fort. Son introduction sonne extrêmement serrée et technique, surtout pour une sortie datant de juin 1970 — bien avant le milieu et la fin des années 1980, époque où les rythmes complexes deviendront monnaie courante. En réalité, la superposition séquentielle de l’orgue, de la basse, de la batterie et de la guitare électrique joués à l’unisson, puis devenant saccadés, évoque à 100 % le prog metal, avec pour inspiration instrumentale le morceau « 21st Century Schizoid Man » de King Crimson. « Walking in Your Shadow » présente des accents de Cream, et sa structure rythmique et mélodique a sans doute influencé les premières compositions de Kiss. Avec son solo en unisson guitare / orgue particulièrement mélodieux, « I’ll Keep On Trying » démarre dans une veine très Deep Purple-ish. L’album se conclut avec « Wake Up (Set Your Sights) », dont le tempo syncopé très rapide du début évolue ensuite vers une ambiance douce et atmosphérique menée par la guitare et le mellotron, rappelant « Epitaph » de King Crimson. Produit par Gerry Bron, l’album comprend quelques morceaux plus faibles. Les ingénieurs Peter Gallen et Peter Olliff l’ont enregistré et mixé aux studios Lansdowne de Londres, entre juillet 1969 et avril 1970. Le pressage original britannique sur Vertigo, gravé et pressé chez Phonodisc Ltd. dans le Grand Londres, reste la version à privilégier. Je ne l’ai jamais écoutée, et ne l’écouterai probablement jamais vu son prix de vente assez élevé sur le marché de l’occasion.

Generals gathered in their masses (Les généraux rassemblés en masse)
Just like witches at black masses (Comme des sorcières lors de messes noires)
Evil minds that plot destruction (Des esprits maléfiques qui complotent la destruction)
Sorcerer of death’s construction (Sorcier bâtisseur de la mort)
In the fields the bodies burning (Dans les champs, les corps brûlent)
As the war machine keeps turning (Tandis que la machine de guerre continue de tourner)
Death and hatred to mankind (Mort et haine pour l’humanité)
Poisoning their brainwashed minds (Empoisonnant leurs esprits conditionnés)
Oh, Lord, yeah… (Oh Seigneur, ouais…)

Ces paroles résonnent avec autant de force aujourd’hui qu’en 1970, lorsque la guerre du Viêt Nam occupait les écrans de télévision. Cinquante-cinq ans plus tard, ce sont les images poignantes des guerres en Ukraine et à Gaza qui s’imposent à notre regard — cette fois sur les écrans de nos iPhones.

Black Sabbath, mai 1970
Face A
Côté B

14 – Black Sabbath – Paranoid. Vertigo – 6360 011 (UK), (sept. 1970), 33 1/3 rpm. Genre : heavy metal, doom metal, proto-punk, proto-thrash metal, proto-speed metal, psychédélique.

Après les sirènes hurlantes, l’intro de « War Pigs », construite autour de la guitare et du charleston, semble emprunter à celle de « Good Times Bad Times » de Led Zeppelin. Jusqu’à ce qu’Ozzy Osbourne et Tony Iommi ne l’emmènent dans une toute autre direction, en faisant l’un des meilleurs morceaux jamais enregistrés par Black Sabbath — et l’un des plus emblématiques du metal. Fait amusant : ce morceau de protestation contre la guerre s’intitulait à l’origine « Walpurgis », avant que le groupe ne le renomme, son label redoutant que le titre sonne trop satanique. Le son saturé de la guitare d’Iommi, associé à sa combinaison ampli / distorsion, conjugué à la basse de Geezer Butler et au jeu de batterie dynamique de Bill Ward, donne naissance à une succession irrésistible de motifs et de grooves tout au long du morceau, culminant dans une outro accélérée en studio. Puis vient le célèbre riff rapide de « Paranoid ». Le morceau « Communication Breakdown » de Led Zeppelin, sorti deux ans plus tôt, a fortement influencé ce titre. Butler a d’ailleurs reconnu que « Paranoid » a failli ne jamais être enregistré, le groupe craignant qu’il ne ressemble trop au riff de « Communication Breakdown ». Conçu à l’origine comme un filler de trois minutes pour conclure l’album, « Paranoid » en est finalement devenu le titre. Grâce à son intensité implacable et à son tempo effréné, il est aujourd’hui considéré comme l’un des morceaux les plus importants de l’histoire du heavy metal, ayant ouvert la voie au punk rock et au thrash metal. « Planet Caravan » marque une rupture profonde avec le reste de l’album : Tony y troque sa guitare pour une flûte, Ward joue des congas, l’ingénieur Tom Allom est au piano, et la voix d’Ozzy, filtrée par un haut-parleur Leslie, produit un étrange effet de trémolo.

Heavy boots of lead (Lourdes bottes de plomb)

Cette fameuse intro de cinq notes dit tout. « Iron Man » est la quintessence du heavy metal. Si cette chanson ne définit pas ce qu’est le « heavy », alors je ne sais pas ce qui le fait. Avec sa progression traînante au ralenti, son épaisseur sonore et sa grosse caisse martelée avec fracas, elle annonce la fatalité. On retrouve encore une fois l’influence des premiers Led Zeppelin, cette fois via « Dazed and Confused » : dans les deux cas, le morceau débute lentement, dans une ambiance dissonante, avant de passer à la vitesse supérieure en milieu de morceau, pour finalement revenir au motif principal et se conclure — dans le cas d’« Iron Man » — par des cymbales éclatantes et un double pédalage annonçant l’avènement du speed metal. La deuxième face s’ouvre sur « Electric Funeral », qui suit une structure similaire à celle du morceau précédent. « Hand of Doom » commence tout en douceur, avec la basse de Butler, une batterie discrète, et un Ozzy posé… jusqu’à ce qu’au bout de deux minutes, la guitare prenne le dessus, Ozzy se transforme en Mr. Hyde, et l’ensemble devient plus dur, plus lourd. À mi-parcours, le morceau se lance dans une course effrénée, rythmée par une tension presque cinématographique, avec une avalanche de solos psychédéliques, avant de revenir au calme du thème principal. Enfin, « Fairies Wear Boots » reprend un riff lent, dans la veine de « Moby Dick » de Led Zeppelin, avec des effets d’écho ajoutés et de superbes breaks de batterie tout au long du morceau. Le disque a été produit par Roger Bain, et enregistré par Brian Humphries et Tom Allom aux Regent Sound Studios et Island Studios, à Londres. Le vernis a été gravé et pressé chez Phonodisc Ltd. dans le Grand Londres. Le pressage original britannique « swirl » de Vertigo, avec la mention « with management credits/Big Bear », est rare à trouver en bon état — et extrêmement onéreux si vous y parvenez — mais c’est la meilleure version sonore, offrant des rendus de batterie et de basse à la fois puissants et dynamiques, surpassant toutes les autres éditions. S’il fallait recommander un seul album pour représenter le heavy metal dans toute sa splendeur, et qui soit fort musicalement du début à la fin, ce serait celui-là. Sans l’ombre d’un doute.

We come from the land of ice and snow (Nous venons du pays de la glace et de la neige)
From the midnight sun where the hot springs flow… (Du soleil de minuit où coulent les sources chaudes…)

Led Zeppelin, septembre 1970
Première face, pressage britannique
Première face, pressage US

15 – Led Zeppelin – Led Zeppelin III. Atlantic – 2401-002 (UK), Atlantic – SD 7201 (oct. 1970), Classic Records – SD 7201 (2000), 33 1/3 rpm, 180 g, ou (2001) 200 g. Genre : heavy metal, raga rock, psychédélisme, hard rock, blues rock, heavy rock, folk blues, bluegrass, country rock, folk rock, skiffle, delta blues.

Jamais du genre à répéter une formule gagnante, Led Zeppelin explore de nouveaux horizons musicaux sur ce troisième album. Ils ouvrent en fanfare avec l’immortel « Immigrant Song », morceau emblématique s’il en est. Inspiré par une courte tournée en Islande en juin 1970, et durant à peine deux minutes et demie, le riff iconique de Page, soutenant le cri plaintif de Plant, crée une expérience aussi entraînante que viscérale. C’est d’ailleurs le seul véritable morceau de heavy metal parmi les dix titres de l’album. Influencé par The Planets de Holst et la musique classique indienne, « Friends » s’inscrit davantage dans le psychédélisme et le raga rock, avec Page à la guitare acoustique, John Paul Jones à la basse et aux arrangements de cordes, et Bonham aux congas. Le morceau se termine sur un bourdon descendant qui enchaîne avec « Celebration Day » : un titre hard rock porté par un riff de guitare bluesy, roots et groovy d’une grande originalité. Le tempo ralentit considérablement avec « Since I’ve Been Loving You », un blues puissant qui met en lumière l’interaction remarquable entre Page et Plant. « Out on the Tiles », quant à lui, fait davantage figure de morceau de remplissage — dans la veine de « Good Times Bad Times » sans en atteindre la qualité. Si la première face est ancrée dans le rock, la seconde plonge dans le folk, le bluegrass, la country, le skiffle et le delta blues. Produit par Page, l’album a été enregistré en mai et juin 1970 au manoir de Headley Grange à l’aide du studio mobile des Rolling Stones, ainsi qu’aux Olympic Studios et Island Studios, à Londres et Notting Hill respectivement. Les ingénieurs Andrew Johns et Terry Manning ont assuré le mixage aux Ardent Studios de Memphis, Tennessee, plus tard en août. Je n’ai pas entendu le pressage original britannique, ni l’américain gravé par Paul Richmond chez Mastercraft à Memphis. Le premier pressage canadien à étiquette rouge est bon, mais je préfère la réédition 180 g de Classic Records, remastérisée et gravée par Bernie Grundman en 2000 : elle offre un son parfaitement équilibré, avec une deuxième face particulièrement impressionnante. Heureusement, Classic Records a aussi fidèlement reproduit la pochette d’origine, complexe et rotative, conçue par Zacron.

Pour en savoir plus sur Claude Lemaire, visitez...

https://soundevaluations.blogspot.ca/

Liste de référence (singles, albums et étiquettes) :

13- Uriah Heep - …Very ‘Easy …Very ‘Umble.                                                        
Vertigo - 6360 006 (UK), (1970, juin), 33 1/3 tours. Genre : heavy metal, heavy rock, hard rock, prog rock, prog metal, blues rock.

14- Black Sabbath - Paranoid.                                                         
Vertigo - 6360 011 (UK), (1970, sept.), 33 1/3 rpm. Genre : heavy metal, doom metal, proto-punk, proto-thrash metal, proto-speed metal, psychédélique.

15- Led Zeppelin - Led Zeppelin III.                                                           
Atlantic - 2401-002 (UK), Atlantic - SD 7201 (1970, oct.), Classic Records - SD 7201 (2000), 33 1/3 rpm, 180g, ou (2001) 200g. Genre : heavy metal, raga rock, psychédélisme, hard rock, blues rock, heavy rock, folk blues, bluegrass, country rock, folk rock, skiffle, delta blues.

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