Ozzy, le survivant indomptable

Après avoir défié la mort pendant des décennies, Ozzy Osbourne quitte ce monde comme il l’a habité : bruyamment, dans le chaos, et de façon inoubliable. Mark Lepage retrace la métamorphose d’Ozzy, de sauvage mordeur de chauve-souris à véritable institution culturelle.

Ozzy, le survivant indomptable

Après avoir défié la mort pendant des décennies, Ozzy Osbourne quitte ce monde comme il l’a habité : bruyamment, dans le chaos, et de façon inoubliable. Mark Lepage retrace la métamorphose d’Ozzy, de sauvage mordeur de chauve-souris à véritable institution culturelle.


Photo : Greg Doherty/Getty Images

« Mon premier travail (à l'abattoir de Birmingham) consistait à vider les estomacs des moutons de leur vomi. La puanteur était incroyable. Mais on s'y habitue. » – Ozzy

Oui, cela pourrait bien vous préparer à inventer le heavy metal.

Le plus beau compliment qu’on puisse faire à une personnalité hors normes, c’est que si elle n’avait pas existé, il aurait fallu l’inventer. Et la vérité la plus crue ? Votre imagination n’y serait jamais parvenue. Voici John Michael Osbourne… et adieu Ozzy.

Après avoir défié la mort pendant vingt ans, Ozzy Osbourne, figure de Black Sabbath et d’une carrière solo monumentale, a fini par rendre l’âme. Il a donné un coup de pied dans le cercueil. Pris le tour bus pour le Chœur invisible. Serré la main du Grand Mystère. Mais peu importe l’enveloppe terrestre épuisée — qu’en est-il du corpus ? Du répertoire, de l’art, de l’héritage d’un personnage devenu légende ?

Black Sabbath dans les années 1970 : Tony Iommi, Ozzy Osbourne, Bill Ward et Geezer Butler. Avec l'aimable autorisation de Wikimedia Commons/Warner Bros. Records/domaine public.

Ozzy Osbourne, c’est le parcours improbable d’un accordeur de klaxons et, oui, tueur d’abattoir issu de la Birmingham des jours gris, jusqu’à devenir le frontman du groupe qui a apporté le Diable et ses guitares désaccordées à chaque festival de stoners sur asphalte à travers l’Occident. Et en bon col bleu, il l’a fait à sa façon : follement, mais avec style.

Il a effectué un virage jamais vu, passant de junkie de métal déchaîné à patriarche excentrique adoré de la télé-réalité. Mieux encore, il n’a pas seulement lancé une carrière solo — qu’on avait d’abord prise pour une blague bien trash —, mais une carrière qui a fini par dépasser les ventes de ses albums avec le Sab. Il a réglé des klaxons pour vivre, et sa voix nasillarde en a parfois le timbre — tout ça en essayant de sonner comme les Beatles, nom d’un chien. Il est devenu un prénom unique, plus grand que le genre heavy metal qu’il a lui-même contribué à créer. Alors… comment expliquer ça ?

Black Sabbath n’a jamais été mon groupe, même si je les ai vus sous toutes leurs formes, avec différents chanteurs. Mais on ne peut nier leur impact durable. Avant ce groupe, le truc le plus déprimant de votre vie, c’était sans doute votre couette. Sabbath – Tony Iommi, Bill Ward, Geezer Butler et Ozzy – a légitimé le pourrissement dans les sous-sols, le tout-noir-plus-noir, la moue éternelle de l’ado martyrisé et, bien sûr, toute la joyeuseté luciférienne. Ils ont littéralement apporté les ténèbres dans votre salon.

On peut débattre du plus grand riff de Sabbath, mais à quoi bon ? C’est celui-là, tout droit sorti de leur tournée de 1978, avant le fameux « Nashville Cocaine Incident » et le renvoi d’Ozzy qui a suivi :

« Snowblind » ne parle pas simplement de drogue, c’est le son de l’état sous drogue — au point de vous donner l’impression d’y être vous-même. Je vais paraphraser un commentaire YouTube aperçu il y a bien longtemps, dans lequel quelqu’un faisait remarquer que l’intro chantée par Ozzy n’est pas, à proprement parler, en langage humain… mais que sa voix ensuite est « pure comme un ruisseau de montagne ».

Peut-être que « pur » n’est pas le mot qu’il faut ici. Le long chemin chaotique menant au statut d’icône de la culture pop est un vrai parcours en zigzag, semé de bouteilles brisées, de fioles douteuses et de décisions bancales. Et aussi de chance. Comme le dit le proverbe français : il y a plus de vieux ivrognes que de vieux médecins. La pureté n’a rien à voir là-dedans.

La survie, c’est ça. Ozzy a eu plus d’occasions que la plupart — et même, en a provoqué plus que quiconque avant lui — de finir comme une victime ou une caricature. Il a donc choisi la caricature… mais en version décuplée. Et ça a tout changé.

« Une minute, on était un groupe de rock qui prenait de la coke. La suivante, un groupe de coke qui faisait du rock. »

Et c’est ainsi que les années 70 (et les suivantes) ont défilé. Présentations :

Ozzy, évanoui dans la mauvaise chambre d’hôtel à Nashville en 1978 après une virée à la coke avec David Lee Roth, obligeant Black Sabbath à annuler le concert (et à le virer dans la foulée) ; Ozzy à l’écran, renversant du jus d’orange partout sur le comptoir en préparant son petit-déjeuner au botulisme dans le film culte de Penelope Spheeris, The Decline of Western Civilization Part II: The Metal Years ; la décapitation de la colombe ; la morsure de la chauve-souris (et quel genre de fan amène une chauve-souris à un concert ? Un fan d’Ozzy, évidemment) ; au moins dix séjours en désintox dont on a connaissance — ou dont lui se souvient ; une arrestation en plein blackout alcoolique pour “tentative de meurtre” sur sa femme. Il a même été dénoncé comme un « mauvais exemple »… par Bill Cosby.

Et qui n’aime pas croquer un peu de chauve-souris de temps en temps, hein ? Se taper une douzaine d’injections antirabiques atroces ? Allez, pourquoi pas. Allons là où les lumières vacillent, où la route s’assombrit et où les paris deviennent délirants — sur votre carrière, votre fric, votre santé mentale, votre âme. Pourtant, Ozzy était en train de transformer la caricature en quelque chose de… plus grand. Une autre catégorie.

« Crazy Train » était déjà l’hymne des arénas bien avant « Welcome to the Jungle », et il vaut la peine de se demander ce qu’il en aurait été sans le regard halluciné d’Ozzy imprimé sur cent millions de t-shirts dans toutes les boutiques underground des centres commerciaux. Ozzfest a propulsé le métal encore plus loin dans le grand public — non pas sous la bannière du « metal », mais sous la sienne. Il y a une différence entre être le pionnier de quelque chose (Sabbath) et en devenir le visage.

Mais ce n’est pas seulement une question de côtoyer le grand public. Oui, Alice Cooper pouvait traîner avec Groucho Marx et John Lennon, passer à Hollywood Squares ou jouer au golf avec Arnold Palmer. Mais pouvait-il être celui qui n’en avait vraiment rien à faire ? Celui qui tiendrait la vedette d’une série de télé-réalité, The Osbournes, que j’ai autrefois qualifiée de La famille Partridge qui bouffe des Partridge ?

En parlant d’Alice… Je me souviens d’une interview de lui au moment de la panique Marilyn Manson, quand les gardiens de la culture pop étaient en transe devant le “danger” qu’il représentait. Les paroles sataniques, les pages de Bible déchirées, les lentilles de contact façon regard de bœuf abattu — jamais, au grand jamais, on n’avait vu chose aussi diabolique !

« C’est un numéro ! » disait Coop. Mais ce sentiment, on ne l’a jamais eu avec Ozzy. Faire un scandale ? Certainement. Monter un coup marketing ? Sans aucun doute. Mais malgré les capes, les grimaces possédées et les yeux de Beelzeebug grand ouverts, le Prince des Ténèbres n’avait rien de faux — pour le meilleur ou pour le pire. La colombe, la chauve-souris, et tout le reste. Toute sa carrière a été une sorte de carambolage en mouvement perpétuel, une machine à détourner le courant dominant. Jusqu’à ce qu’il en devienne la norme.

Il m’est difficile d’imaginer, en tout cas pour l’instant, qu’on puisse revoir ça un jour. Un survivant de toujours, prêt à risquer sa peau — 597 fois, rien que ça — pour chanter une musique démente, aux paroles plus plaintives qu’on ne s’en souvient, et hurler à la foule de « devenir folle »… juste pour le plaisir.

Et puis, il y a eu le dernier concert, Back to the Beginning, à Birmingham — sans doute l’affiche la plus lourde de l’histoire du metal. Les petits princes étaient venus pour le Prince.

Réfléchissez un instant à l’image — et au son — d’un homme atteint de la maladie de Parkinson, avec une douzaine de vis dans la colonne, luttant contre l’emphysème, hissé sur un trône pour faire ses adieux… alors qu’il n’en avait pas la force. Lors de ce dernier concert de Black Sabbath, il y a eu des décalages dans « War Pigs », entre autres. Mais surtout, il y avait de l’émotion. De la vraie. Quel autre domaine artistique pourrait réunir 40 000 personnes, tous disciples ou héritiers de celui qu’on célèbre, rendant hommage sur scène — pendant qu’un homme brisé vous laisse assister à sa mue, ou à sa métamorphose, quittant lentement cette carcasse meurtrie… à dix-sept jours inconnus de la fin, dans une fête silencieuse de son propre crépuscule ?

Avec les riffs, la basse et la batterie qui cognent encore à fond ?

La réponse, comme toujours, c’est : None More Black.

Image d'en-tête avec l'aimable autorisation de Wikimedia Commons/Morten Skovgaard.

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