On dit souvent qu’il faut éviter les discussions qui abordent la politique ou la religion. Ce sont des sujets délicats sur lesquels plusieurs personnes ont des idées et des croyances bien arrêtées. Les esprits peuvent facilement s’échauffer et se transformer en guerres de tranchées au gré des conversations.

Chez les audiophiles, on pourrait facilement remplacer la politique ou la religion par la suprématie sonore d’une marque, le rapport qualité/prix ou la réputation d’un produit, les bienfaits réels ou prétendus du câblage audio, la supériorité du vinyle, du cd ou du streaming, et quoi encore !

  Comme il s’agit de ma première chronique, je me suis dit qu’elle serait une bonne façon de m’introduire et de vous parler un peu de mon cheminement d’audiophile des cinquante dernières années.

La musique a toujours été extrêmement importante dans ma vie. À l’âge de 13 ans, j’ai acheté mes premiers microsillons et mon premier système de son, un tout-en-un Lloyds avec table-tournante intégrée, dont l’aiguille de saphir ne cessait de sauter et qui martyrisait allègrement les sillons de mes précieux enregistrements. J’ai détesté ce système dès les premières minutes d’écoute et je me suis rendu compte à quel point la qualité du son était importante pour apprécier la musique à sa juste valeur.

  J’avais 15 ans lorsque M. Gilles Poirier, réalisateur d’émissions musicales à Radio-Canada, publie un ouvrage intitulé : « Le guide de la haute fidélité ». La lecture de ce bouquin, paru en 1973, m’a propulsé dans un nouvel univers. Ce fut l’élément déclencheur de cette passion qui ne s’est jamais estompée.

À l’âge de 16 ans, je possédais déjà près de 500 microsillons, des équipements Quad, Dynaco, Thorens, Revox et Altec Lansing. Toutes mes économies durement gagnées à l’épicerie du quartier y sont passées. J’étais très fier de ma chaîne stéréophonique haute-fidélité et croyait avoir assemblé le meilleur système au monde !

  À la même époque, je me suis lié d’amitié avec un autre audiophile en herbe qui étudiait à la même polyvalente que moi. Il ne jurait que par les produits Akai et dénigrait constamment mes équipements Quad. Nous étions tous les deux passionnés par l’audio et nos conversations sur la qualité de nos systèmes de son étaient très animées, chacun y allant de ses arguments techniques sur la supériorité des produits qu’il possédait.

Malgré nos convictions profondes, il n’y avait pas d’animosité entre nous. Au contraire, un respect mutuel s’est installé après l’écoute de nos systèmes respectifs. J’ai aimé ce que j’ai entendu chez lui, et vice versa. Le son de son système était certes différent du mien, mais très agréable à l’écoute. Il était indéniable que ses composantes avaient été choisi avec soin. Sa chaîne audio était bien adaptée à ses goûts musicaux, qui étaient très différents des miens à l’époque.

Cette rencontre a été révélatrice et a éveillé ma curiosité. J’avais des idées préconçues sur la marque Akai sans jamais l’avoir entendue. Comme l’Internet n’existait pas, mes références provenaient de revues spécialisées. Selon mes lectures, Akai n’était pas une marque haut de gamme. Pourtant, cet amplificateur marié à de bonnes enceintes et à une table-tournante munie d’une cellule bien calibrée, donnait des résultats forts intéressants.

Cette prise de conscience m’a encouragé à faire l’écoute de multiples chaînes stéréo élaborées par d’autres audiophiles et à visiter plusieurs boutiques spécialisées. Au cours des cinquante dernières années, j’ai eu la chance d’écouter une grande quantité de marques et produits différents, d’approfondir mes connaissances techniques, d’affiner mes capacités auditives et de comprendre que l’acoustique de la pièce était vitale pour libérer le plein potentiel des appareils. Avec le temps, j’ai appris que tout changement, aussi minime soit-il, apporté à mon système avait de l’importance et que parfois il ne fallait pas chercher à comprendre pourquoi.

Mon éducation d’audiophile s’est faite sur le terrain, pas sur Internet. En d’autres termes— à travers mes oreilles, pas mes yeux !

C’est pourquoi je suis toujours estomaqué par les opinions tranchées de certains « audiophiles ». Ces gens qui donnent leurs opinions d’experts à partir d’une photo ou qui soulèvent des débats acrimonieux sur l’infériorité d’une marque ou son faible rapport qualité / prix, sans égard à l’environnement acoustique, sans connaître l’ensemble des composantes et la plupart du temps sans jamais avoir entendu un tel système.

Ils jugent selon leurs lectures. Ils dénigrent une marque à partir de l’opinion des autres. Ils lisent des commentaires ou écoutent des vidéos de pseudos experts et établissent ainsi leur vérité absolue, pour ensuite tenter de l’enfoncer dans la gorge de ceux qui osent les contredire, ou remettre à leur place les infortunés passionnés d'audio en herbe qui ont le culot d'exhiber fièrement leur modeste système ou de poser une simple question audio sur Facebook ! Un tel comportement condescendant et nuisible ne devrait pas être toléré.

Albert Einstein décrit bien cette tendance du 21e siècle: « La connaissance c’est l’expérience. Tout le reste n’est qu’information. »

Depuis quand devient-on expert en lisant l’opinion des autres ?

J’ai longtemps été un agnostique inconditionnel du câblage audio haut de gamme, des produits aux vertus antivibratoires, des fusibles magiques, des prises de courant en rhodium issues de la nanotechnologie, des dissipateurs d’ondes magnétiques et autres accessoires qui pourraient sembler farfelus. Après tout, j’ai un diplôme en électronique de l’Institut Teccart. On ne me fera pas croire n’importe quoi !

Je me suis donc battu longtemps contre tous ces bidules vendus à un prix indécent, défiant toute logique, et fabriqués avec de l’huile de serpent. Oh non ! Très peu pour moi. Il n’en est pas question ! Et pourtant…

Sans tomber dans la complaisance, mon parcours m’a démontré qu’il fallait toujours garder l’esprit ouvert, demeurer curieux et passionné et ne jamais juger sans avoir expérimenté soi-même. Je suis toujours incrédule et fasciné par la quantité de détails qui peuvent influencer la reproduction musicale.

Au-delà des aspects techniques et de la théorie fondamentale, il existe une partie intangible, mais bien réelle, qui module l’audition et la reproduction sonore. L’ouïe est incroyablement complexe et comme tous les sens chez l’humain, nous devons nous rendre à l’évidence qu’elle varie d’un individu à un autre.

Au cours de mes prochaines chroniques, nous parlerons parfois musique et, à d’autres occasions, examinerons certains aspects techniques de la reproduction sonore. Nous aborderons parfois des sujets tabous, complexes, controversés ou déconcertants.

Je vous invite à garder l’esprit ouvert et à me suivre dans ce fascinant périple.