Entre génie et conflits : la dissolution des Beatles

Entre génie et conflits : la dissolution des Beatles


Le 31 décembre 1970, alors qu’un froid humide enveloppait Londres, Paul McCartney franchit les portes de la Haute Cour de justice. L’homme qui avait écrit « Yesterday » s’apprêtait à affronter l’avenir, le cœur lourd. Entre ses mains, il tenait une plainte visant à dissoudre les Beatles, un groupe qui avait dépassé le cadre de la musique pour devenir un véritable phénomène culturel. Pour les fans, cet acte relevait de la trahison. Pour McCartney, c’était une question de survie.

L’épopée des Beatles avait débuté comme un conte de fées, mais en 1970, le groupe qui avait redéfini la culture pop moderne était au bord de l’implosion. La mort de leur manager, Brian Epstein, en 1967, les avait laissés sans cap. « C’était comme si nous avions soudainement perdu notre père », confiera plus tard McCartney. Epstein avait été leur guide et le rempart entre leur créativité artistique et les dures réalités de la célébrité. Sans lui, le groupe peinait à gérer son empire grandissant, Apple Corps. Cette entreprise, pensée comme un collectif accueillant pour les artistes, s’enfonça rapidement dans le chaos. Les récits de dépenses extravagantes s’accumulaient : des films d’avant-garde jamais réalisés, des projets commerciaux avortés, et une Apple Boutique tristement célèbre pour avoir distribué gratuitement son inventaire.

C’est alors qu’Allen Klein fit son apparition, un manager new-yorkais flamboyant, cigare à la bouche, qui promettait de remettre de l’ordre dans le chaos. Pour Lennon, Klein était un héros. « C’est le seul à tenir ses promesses », affirma-t-il un jour. Pour McCartney, en revanche, Klein représentait une menace. « Je trouvais que Klein était louche », confiera McCartney des années plus tard. « Je voulais que nous l’évitons. »

Comme si les problèmes financiers ne suffisaient pas, les tensions au sein du groupe atteignirent leur paroxysme lors de l’enregistrement de Let It Be. Conçu à l’origine comme un projet brut et retour aux sources, le travail en studio dégénéra en disputes incessantes et en affrontements créatifs. Harrison quitta brièvement le groupe après une énième altercation. Pendant ce temps, McCartney et Lennon se heurtaient sans relâche. Le coup de grâce survint lorsque Klein fit appel au producteur Phil Spector pour finaliser l’album. Spector transforma la délicate ballade de McCartney, « The Long and Winding Road », en une pièce ornée de cordes et d’une chorale. « J’étais horrifié », témoigna McCartney au tribunal. « L’album est sorti avec tous ces violons et tout le reste. Je ne l’avais jamais entendu ainsi. C’était un choc. »

McCartney se retira dans sa ferme écossaise, tentant de surmonter l’effondrement des Beatles. Il sombra dans l’alcool et lutta contre une profonde dépression. « Je devenais fou », avoua-t-il. « Je buvais trop et je faisais tout en excès. » Alors que les trois autres Beatles se rangeaient derrière Klein, McCartney se retrouva de plus en plus isolé. La décision d’intenter un procès ne fut pas prise à la légère, mais il se sentait acculé. « C’était le seul moyen de me sauver », expliqua-t-il plus tard.

Le procès, déposé le 31 décembre, accusait les autres membres du groupe de mauvaise gestion financière et visait à placer Apple Corps sous le contrôle d’un administrateur judiciaire indépendant. Dans la salle d’audience, les avocats de McCartney présentèrent des preuves des pratiques douteuses de Klein, notamment le détournement de fonds vers sa société ABKCO. Lennon, furieux de ce qu’il percevait comme une trahison publique, fulminait en privé : « Il n’a pas le courage de me dire quoi que ce soit en face. »

Derrière les portes closes, les tensions atteignaient des sommets. Lennon rappelait à McCartney, dans des lettres, qu’il avait déjà annoncé son départ plusieurs mois plus tôt. « C’est toi qui refuses de lâcher prise », écrivait Lennon. McCartney, pourtant, restait ferme. Klein, dans une ultime tentative, aurait proposé à McCartney un accord financier plus avantageux pour qu’il abandonne le procès — une manœuvre qui ne fit qu’accentuer la méfiance de McCartney.

Le 12 mars 1971, la Haute Cour rendit son verdict en faveur de McCartney. Le juge nomma un administrateur judiciaire pour superviser Apple Corps, écartant ainsi Klein du contrôle et ouvrant la voie à la dissolution officielle du partenariat. Ce fut une victoire pour McCartney, mais une victoire amère. Les Beatles, le groupe qui avait marqué une génération, étaient désormais officiellement dissous.

Pour les fans, la rupture fut un véritable choc. Les Beatles n’étaient pas simplement un groupe : ils incarnaient une force culturelle, le symbole du rêve des années 60. Leur musique avait accompagné les espoirs et les révoltes d’une génération. Désormais, ce rêve s’était envolé. « Les Beatles étaient un phénomène », écrivait un critique de l’époque, « et leur séparation ressemble à la mort de la décennie elle-même. »

L’histoire, cependant, finira par donner raison à McCartney. Les pratiques douteuses de Klein furent exposées, et les complications financières des Beatles furent finalement résolues. Libérés des contraintes de leur partenariat, McCartney, Lennon, Harrison et Starr s’engagèrent dans des carrières solo qui ne firent que renforcer leur héritage légendaire.

En ce jour gris de décembre à Londres, McCartney entra dans le tribunal pour signer l’arrêt de mort des Beatles, pleinement conscient qu’il mettait fin à l’illusion d’une harmonie intacte. C’était la fin d’un rêve, mais aussi le commencement d’un mythe destiné à vivre éternellement.

forte-mobile forte-desktop forte-mobile forte-desktop

2024 PMA Magazine. Tous droits réservés.

Chercher un Sujet

pour recevoir un récapitulatif mensuel de nos meilleurs articles

ABONNEZ-VOUS À NOTRE INFOLETTRE

Le champ Email est obligatoire pour s'inscrire.