
Ça s’est terminé à un feu rouge. Sans sirènes ni course-poursuite, même pas une dispute — juste une intersection tranquille au cœur de Los Angeles, une bouffée de gaz d’échappement d’une Chevy Impala, et six coups de feu qui ont transformé une légende du rap en simple statistique criminelle.
Christopher Wallace, mieux connu sous le nom de The Notorious B.I.G., s’était envolé pour L.A. afin de promouvoir son double album à paraître, Life After Death. Nous étions en mars 1997. Il avait 24 ans. La ville portait encore les cicatrices du meurtre de Tupac Shakur, survenu six mois plus tôt, et l’atmosphère autour de Biggie semblait chargée d’une tension qui n’était pas seulement promotionnelle — elle avait quelque chose de prémonitoire.
Le soir du 8 mars, Biggie assista à une soirée post-cérémonie survoltée organisée par Vibe, Qwest Records et Tanqueray, au Petersen Automotive Museum sur Wilshire. C’était le week-end des Soul Train Awards, ce qui signifiait que la liste des invités était folle : artistes, athlètes, dirigeants, humoristes — et à peu près tous ceux qui comptaient en 1997. Le musée s’est rempli au-delà de sa capacité légale. Finalement, les pompiers ont fait fermer les lieux. Ce détail est important.
Peu après 0 h 30, dans la nuit du 9 mars, Biggie monta à bord d’un Suburban noir garé devant le Petersen. Il prit le siège passager avant. Sean « Puff Daddy » Combs roulait dans un autre VUS, juste devant. Le convoi de Bad Boy s’engagea vers l’ouest sur Wilshire et s’arrêta au feu rouge de South Fairfax. C’est là qu’une Impala SS sombre — un modèle du milieu des années 1990 — s’approcha lentement.
Des témoins décriront plus tard le conducteur comme un homme noir vêtu d’un costume bleu poudre avec un nœud papillon. Il baissa la vitre. Six coups de feu furent tirés avec une arme de calibre 9 mm. Quatre touchèrent Biggie. L’un d’eux fut mortel.
Il fut déclaré mort à 1 h 15 au Cedars-Sinai Medical Center, après l’échec d’une chirurgie thoracique d’urgence. L’autopsie — restée sous scellés jusqu’en 2012 — révéla qu’une seule balle avait pénétré par sa hanche droite, remontant à travers le côlon, le foie, le cœur et le poumon avant de s’immobiliser près de son épaule gauche. Les autres blessures, au bras, au dos et à la cuisse, n’étaient pas fatales. Aucune trace de drogue ni d’alcool n’a été trouvée dans son organisme.
La nouvelle de la mort de Biggie fit le tour du monde en un éclair. En quelques heures, les stations de radio passaient en boucle Juicy et Big Poppa. Des veillées improvisées virent le jour à Brooklyn et à Baldwin Hills. Pour la seconde fois en six mois, une superstar du rap était tuée lors d’une fusillade en voiture — et, encore une fois, le tireur s’était volatilisé. Les gros titres étaient déjà prêts : Côte Est contre Côte Ouest. Zone de guerre du hip-hop. Représailles. Non résolu.
Mais derrière les raccourcis médiatiques se cachait une affaire criminelle noyée dans le brouillard bureaucratique. L’enquête du LAPD n’aboutit à rien. Aucune arrestation. Aucun mobile clair. Aucune arme retrouvée. En 2002, la famille de Biggie intenta une poursuite pour mort injustifiée contre la Ville de Los Angeles, alléguant non seulement une négligence policière, mais aussi une implication directe du LAPD dans son assassinat. La théorie — évoquée aussi bien au tribunal que dans les médias — mettait en lumière un réseau d’agents véreux, de liens avec des gangs et d’entraves délibérées à la justice.
Le procès civil de 2005 s’effondra après des révélations explosives : des preuves essentielles avaient été sciemment cachées à l’équipe juridique des Wallace. Le juge déclara l’annulation du procès et condamna la ville à une amende de 1,1 million $US. La famille déposa une nouvelle plainte, mais l’affaire fut finalement rejetée en 2010. Aucun membre du LAPD ne fut jamais inculpé au criminel.
Dans ce vide, les théories se multiplièrent. La plus tenace provient de Greg Kading, un détective à la retraite du LAPD, dont le livre et le documentaire Murder Rap désignent Suge Knight comme commanditaire du meurtre. Selon Kading, Knight aurait orchestré l’attaque en représailles à la mort de Tupac, celle-ci ayant été exécutée par un membre de gang, Wardell « Poochie » Fouse. Fouse, comme par hasard, a été assassiné en 2003. Ce récit, bien ficelé, n’implique aucun agent encore en poste et s’enveloppe de la légitimité d’un « savoir interne ». Il n’a jamais été prouvé.
D’autres théories s’attardaient sur une corruption plus profonde au sein du LAPD. Des noms comme David Mack et Amir Muhammad sont apparus — mêlés à des braquages de banque, à la Nation of Islam, et à des comportements douteux hors service qui sentaient bon la conspiration. Certains de ces indices furent écartés. D’autres disparurent simplement dans le brouillard procédural.
Le seul nouveau développement survenu dans la décennie suivante eut lieu en 2012, lorsque le coroner du comté de L.A. publia le rapport d’autopsie de Biggie. L’objectif déclaré était de susciter de nouveaux témoignages. Ce que cela révéla en réalité, c’est à quel point la situation était inchangée : une balle fatale, trois blessures non mortelles, et toujours aucun suspect arrêté. Le LAPD n’avait pas informé la famille Wallace avant de rendre le rapport public. Il s’en est excusé. Les Wallace, eux, n’étaient pas convaincus.
En 2025, l’affaire reste officiellement ouverte. Toujours « activement enquêtée », selon les porte-parole du LAPD. Toujours non résolue. Aucun délai de prescription ne s’applique au meurtre, ce qui peut sembler porteur d’espoir… jusqu’à ce qu’on réalise que les principaux suspects sont morts, que les preuves sont froides, et que la confiance du public envers les institutions s’est érodée.
Ce qui subsiste, c’est la marque culturelle. L’intersection de Wilshire et Fairfax est devenue un étrange lieu de mémoire. Le Petersen Museum accueille aujourd’hui des passionnés d’automobile, bien souvent ignorants de ce qui s’est passé sur ce trottoir à 0 h 45. Cedars-Sinai, théâtre de tant de fins hollywoodiennes, fut le dernier arrêt d’une nuit qui a bouleversé l’histoire de la musique.
Voletta Wallace, la mère de Biggie, est restée une voix infatigable réclamant justice jusqu’à sa mort, en 2025. Elle n’a jamais vu le meurtrier de son fils comparaître devant un tribunal.
Vingt-huit ans plus tard, la scène du crime reste figée dans l’ambre : un feu rouge, un Suburban noir, un nœud papillon derrière une vitre, et quatre balles qui ont tout changé.













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