L'acquisition du catalogue des Beatles par Michael Jackson en 1985 est l'un des épisodes les plus controversés de l'histoire de la musique — une histoire d'ambition, d'amitié et de perspicacité commerciale qui a à jamais transformé le paysage de l'édition musicale. Cette acquisition n'a pas seulement renforcé l'empire financier de Jackson ; elle a également créé une fracture entre lui et Paul McCartney, l'un des auteurs-compositeurs originaux et un ami proche à l'époque.
Une amitié qui a tourné au vinaigre
L'amitié entre Jackson et McCartney a prospéré au début des années 1980, nourrie par leurs collaborations sur des titres à succès comme « The Girl Is Mine » de l'album Thriller de Jackson et « Say Say Say » de l'album Pipes of Peace de McCartney. Durant cette période, McCartney, qui avait acquis des droits musicaux pendant des années, offrit à Jackson une leçon précieuse sur le côté commercial de la musique. McCartney expliqua la nature lucrative de la possession des droits d'édition, soulignant que cela lui permettait de toucher des royalties chaque fois que les chansons qu'il possédait étaient jouées ou enregistrées.
Prenant ce conseil à cœur, Jackson exprime son admiration pour le sens des affaires de McCartney, disant en plaisantant : « Un jour, tes chansons m'appartiendront ». À l'époque, McCartney n'y voit probablement qu'une plaisanterie, ignorant à quel point les paroles de Jackson allaient devenir prophétiques.
L’accord à haut risque
En 1984, ATV Music, qui détenait les droits sur plus de 4 000 chansons, dont 251 titres des Beatles, fut mise en vente. Jackson, qui était alors devenu un homme d'affaires avisé, y vit une opportunité trop belle pour être ignorée. Bien que McCartney souhaitait récupérer le contrôle du catalogue des Beatles, il trouva le prix trop élevé. Yoko Ono, représentant la succession de John Lennon, choisit également de ne pas enchérir, préférant, semble-t-il, que Jackson possède le catalogue plutôt qu'une entreprise.
Déterminé à acquérir cet actif inestimable, Jackson demanda à son avocat, John Branca, de poursuivre l'affaire. Après des mois de négociations intenses, Jackson l'emporta avec une offre finale de 47,5 millions de dollars, concluant l'accord le 14 août 1985. Cet achat donna à Jackson la propriété de certaines des chansons les plus emblématiques de l'histoire de la musique, telles que « Hey Jude », « Yesterday » et « Let It Be ».
Les conséquences : une amitié brisée
Cet accord marqua le début de la fin de l'amitié entre Jackson et McCartney. Ce dernier, qui espérait récupérer ses chansons, se sentit profondément trahi. Dans une interview en 2001, McCartney révéla : « Il [Jackson] ne répond même pas à mes lettres, donc nous n'avons pas parlé, et notre relation n'est plus aussi bonne. » Jackson, pour sa part, considérait l'acquisition comme une simple affaire. Dans son autobiographie, Moonwalk, de 1988, il écrivit : « Paul et moi avons tous deux appris à la dure ce qu'était le business, l'importance de l'édition et des royalties, et la dignité de la composition. » La position de Jackson était claire : rien de personnel, juste des affaires.
La propriété de Jackson a entraîné l’utilisation des chansons des Beatles dans des publicités, une pratique à laquelle McCartney s’est opposé avec véhémence. Il considérait qu’une telle commercialisation dénaturait la valeur artistique des morceaux, déclarant : « Cela les gâche en quelque sorte. Ça leur enlève tout leur intérêt. » Cette exploitation commerciale allait à l’encontre de l’intention initiale des Beatles, qui souhaitaient préserver la pureté de leur musique, à l’abri des intérêts commerciaux. Ce différend ne fit qu’aggraver le fossé entre les deux musiciens.
Un héritage valant des milliards
L’acquisition par Jackson du catalogue des Beatles s’est toutefois révélée être un investissement visionnaire. En 1995, il vendit 50 % d’ATV à Sony pour 95 millions de dollars, créant ainsi Sony/ATV Music Publishing, qui allait devenir l’une des plus grandes sociétés d’édition musicale au monde. La valeur du catalogue ne cessa de croître : après la mort de Jackson en 2009, Sony racheta finalement les 50 % restants à sa succession pour 750 millions de dollars en 2016. À ce moment-là, la valeur totale du catalogue était estimée à plus d’un milliard de dollars, illustrant le génie financier de l’investissement initial de Jackson de 47,5 millions de dollars.
Le post-scriptum : La longue quête de McCartney
Après la mort de Jackson, des rumeurs ont circulé selon lesquelles il aurait légué les chansons des Beatles à McCartney dans son testament. Cependant, McCartney dissipa rapidement ces spéculations, affirmant : « Il y a quelque temps, les médias ont inventé l’idée que Michael Jackson allait me léguer sa part des chansons des Beatles… [C’était] complètement faux. » Ce n’est qu’en 2017 que McCartney parvint enfin à un accord avec Sony/ATV pour récupérer les droits du catalogue des Beatles, en s’appuyant sur une disposition de la loi américaine sur le droit d’auteur qui permet aux auteurs-compositeurs de revendiquer leurs droits après 35 ans. Les détails de cet accord restent confidentiels, mais il marqua la fin d’un long et complexe chapitre dans la vie de McCartney.
La saga de l’acquisition du catalogue des Beatles par Michael Jackson est un puissant rappel que les affaires peuvent mettre à mal même les amitiés les plus solides. Ce qui avait commencé comme une collaboration mutuellement bénéfique entre deux figures emblématiques de la musique s’acheva dans l’amertume et une relation brisée. L’achat de Jackson demeure un tournant majeur de l’industrie musicale : un accord qui assura son avenir financier tout en redéfinissant les dynamiques de l’édition musicale, laissant une empreinte indélébile sur son héritage et celui de McCartney.
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