
Photos de Karim Sénoussi.
Situé à l'intérieur d'un bâtiment anodin à l'extrémité nord du boulevard Saint-Laurent, le studio d'enregistrement de 2xHD Fidelio Technologies est invisible de l'extérieur. Ce n'est qu'en entrant dans le vestibule de l'immeuble et en apercevant l'interphone portant l'inscription « Fidelio » qu'il devient évident que vous êtes au bon endroit.
Je suis venu avec mon ami Karim Senoussi, qui a gentiment proposé de prendre des photos pour mon interview avec l’ingénieur du son René Laflamme, copropriétaire du label 2xHD Fidelio avec l’ingénieur du son légendaire André Perry — célèbre pour le mythique studio Le Studio à Morin-Heights — et son épouse et collaboratrice de toujours, Yaël Brandis. René nous a accueillis dans le couloir, puis nous a conduits à travers un espace étroit ressemblant à un corridor jusqu’à la pièce principale. Lorsque j’ai émergé, deux choses ont simultanément attiré mon attention. La première était la présence de deux grands noms du jazz montréalais, le contrebassiste Frédéric Alarie et le guitariste Sylvain Provost, qui jouaient devant nous pendant qu’on les enregistrait. La deuxième chose était l’allure et l’atmosphère du studio : cosy, intime, chaleureux, où la seule chose séparant René des musiciens était trois microphones suspendus à un pied unique.

Ce jour-là, les microphones — un Josephson numérique pour la version DSD ou DXD de l’enregistrement et deux Neumann M49 datant de 1948 pour la partie analogique — étaient utilisés pour un essai, afin de vérifier la qualité sonore avant de passer à l’enregistrement définitif. Après chaque morceau, René, qui écoutait au casque, échangeait avec les musiciens sur des aspects du processus d’enregistrement, tandis que Karim se faufilait discrètement autour d’eux pour prendre des photos avec son Nikon D700.

Tout autour de nous, des objets éparpillés révélaient la personnalité de René : des bandes magnétiques et des vinyles, une platine Nagra Reference, un magnétophone Nagra T-Audio, une rangée d’égaliseurs à lampes vintage, et une sorte d’espace de travail composé d’un bureau et d’un évier encombré de châssis audio démontés et de pièces détachées. Derrière l’évier, coincé dans un coin, se trouvait un magnétophone Ampex 300 ½” à 4 pistes, dont le premier modèle de production date de 1949. Comme René me l’a expliqué : « Il était utilisé par Living Stereo, Mercury Records, Frank Sinatra, Elvis Presley... C’était la référence haut de gamme de la fin des années 50 et du début des années 60, à une époque où le coût de l’Ampex 300 ½” équivalait au prix d’une maison. Je suis en train de le restaurer pour réaliser des enregistrements et pour convertir des bandes 4 pistes en vinyles et en cassettes. »

Pour accentuer le caractère organique du studio, des traitements acoustiques en bois s’étendent des murs jusqu’au plafond, tandis qu’au sol, moquette et tapis — qui, comme le dirait The Big Lebowski, « lient la pièce » — renforcent l’harmonie de l’ensemble.
René est un restaurateur et modificateur invétéré de matériel audio vintage, doté d’un véritable talent pour le design qui transcende les époques de la technologie audio. Parmi ses nombreuses casquettes dans le domaine, il occupe le poste de responsable des ventes et du marketing de Nagra pour les États-Unis et le Canada, et collabore avec la société suisse à la conception de certains de ses produits les plus ambitieux. La platine Reference à six chiffres que j’ai aperçue en entrant dans le studio en fait partie.

René s’est entouré d’un équipement audio de pointe. À plusieurs reprises, il a fait jouer sur son Nagra T-Audio le morceau que Frédéric et Sylvain venaient d’interpréter, et le son était étonnamment proche de ce que je venais d’entendre en direct. Le reste de la chaîne de lecture du studio contribuait à cette illusion de réalisme audio : des prototypes d’un préamplificateur Nagra Reference PREAMP, deux imposants monoblocs Nagra Reference AMP de 250 W (dont les 30 premiers en classe A) et une paire d’enceintes Sonus Faber Stradivari à trois voies et demie. « Leur filtre est bien conçu, » m’a confié René à propos des enceintes. « Leur médium est très transparent. »
Lorsque je lui ai demandé ce qu’il appréciait tant dans les anciens équipements audio, comme ses microphones Neumann, il m’a répondu : « L’équipement de cette époque était extraordinaire. Il était axé sur un véritable développement. Les ingénieurs d’EMI et d’Abbey Road collaboraient avec ceux de Neumann pour obtenir le bon son. L’électronique à lampes des années 50 et 60 offre un avantage sur l’électronique à transistors. Le signal amplifié est continuellement amplifié, contrairement au fonctionnement en commutation on/off des transistors, qui génère une troisième harmonique agressive pour l’oreille, inexistante lors de l’enregistrement. »

Il ajoute : « Les lampes et les transformateurs de sortie des microphones vintage produisent une seconde harmonique naturelle, ce qui est normal dans la nature et donne un son plus riche. Mais il y a bien plus que ça : circuits câblés point à point, alimentations linéaires à tubes, angles de grille conçus pour briser les résonances, tubes Telefunken AC 701… Aujourd’hui, on trouve des copies bien réalisées, même des versions signées Neumann, mais ce n’est pas la même chose. Certaines entreprises innovent, comme Josephson, mais les microphones de l’âge d’or ont une richesse et une transparence qui transmettent l’émotion comme aucun autre. »
Et quel est l’ingrédient final, crucial, qui parachève le réalisme sonore de l’enregistrement ? Ironiquement, c’est une touche de réverbération de studio appliquée avec précision, a révélé René.

Les sorties de 2xHD sont un mélange d'enregistrements remastérisés et de nouvelles productions. Bien que les ventes de vinyles dépassent celles des formats numériques, René précise que les ventes de titres en DSD et DXD via des sites de téléchargement partenaires restent solides au Canada, malgré la tendance au streaming, avec de nouveaux enregistrements à venir. « Pour les sorties en DSD et DXD, nous avons conclu un nouvel accord avec un studio à Paris, Black Stamp, qui travaille avec des musiciens incroyables — Absolute, Mr. Wins, Ah! Kwantou, pour n’en citer que quelques-uns. Avec le développement du nouveau DAC Nagra Reference à lampes, je peux réaliser des masters à partir d’enregistrements numériques qui sonnent plus riches et plus naturels qu’auparavant. »
En ce qui concerne les vinyles, René cite les remasters AAA des albums de Bill Evans et Ben Webster parmi les meilleures ventes de sa société, ainsi que ceux de la série « Analog Collection ». « Nous avons également une nouvelle bande magnétique AAA d’Al Jarreau et d’excellentes nouveautés à venir de Piltch & Davis, Emilie Claire Barlow et Robert Len Crossroad. »

Passer un peu de temps avec René suffit pour comprendre qu’il est avant tout un passionné d’audio, qu’il s’agisse d’équipements grand public ou de matériel d’enregistrement. Cette passion semble avoir été forgée par deux événements marquants vécus à l’âge de 20 ans. Le premier : un cours d’enregistrement en studio qu’il a suivi à Columbus, dans l’Ohio. Le second : lorsqu’un de ses professeurs d’électronique, Richard LeBlond, lui a fait découvrir un système de lecture de haute qualité. René raconte : « Richard m’a fait écouter une bande Nagra IV-S sur des enceintes Acoustat et une électronique à lampes personnalisée, et j’ai eu une révélation qui m’a aidé à développer les microphones Fidelio RL1. Aujourd’hui encore, je travaille sur des projets avec Richard. »
La relation entre René et Frédéric remonte à longtemps. Frédéric était le voisin de René, et le tout premier artiste qu’il a enregistré, il y a 25 ans. Après l’avoir vu jouer au Biddle’s, le mythique bar de jazz montréalais, René est allé le voir : « Je lui ai demandé s’il accepterait d’essayer mes micros RL1 branchés dans un préampli YBS Signature, lui-même connecté à un magnétophone à bande Tascam. Il a accepté, et le résultat était bluffant. Quelques semaines plus tard, Frédéric m’a demandé si je voulais l’enregistrer avec le guitariste Art Johnson. J’ai proposé qu’on loue Le Studio à Morin Heights, réputé pour son acoustique, et c’est là que nous avons enregistré l’album Contact. C’était ma première et dernière visite au Studio. Je ne connaissais pas encore André (Perry), et il avait déjà vendu le studio au groupe Spectra, mais je suis vraiment heureux d’avoir pu y enregistrer ! »

René ne se limite pas aux enregistrements en studio. Il utilise souvent des églises et des salles pour leurs acoustiques réverbérantes. Son approche de l’enregistrement est puriste : il utilise le moins de micros possible, mais reste assidu et infatigable dans sa quête du meilleur son. Il m’a confié, à voix basse, qu’il dépensait environ 10 000 $US tous les quatre mois de sa propre poche pour acheter du matériel. Pourquoi ? « Pour suivre l’évolution. J’ai besoin d’expérimenter énormément. »
Je lui ai demandé ce qu’il cherchait à accomplir avec ses enregistrements. « Susciter l’émotion chez l’auditeur. On parle beaucoup de technique d’enregistrement, mais le but ultime est de ne pas l’entendre. »
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René Laflamme présentera les produits Nagra et 2xHD Fidelio au Montreal Audiofest du 28 au 30 mars dans la salle Montréal 2 de Bliss Acoustics.

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