Le dernier coup d’éclat des Sex Pistols au Winterland

Le dernier coup d’éclat des Sex Pistols au Winterland


C’est par une froide nuit de janvier 1978 que les Sex Pistols sont montés sur la scène du Winterland Ballroom de San Francisco, prêts — ou peut-être réticents — à entrer dans l’histoire. Ce n’était pas un simple concert : c’était le chant du cygne du groupe le plus imprévisible du punk. Leur tournée américaine avait été un désastre enveloppé dans le chaos : des spectacles annulés, des querelles internes, la dépendance à l’héroïne de Sid Vicious qui s’aggravait de jour en jour, et un manager (Malcolm McLaren) tirant les ficelles du drame comme un véritable marionnettiste du punk-rock. Quand ils arrivent au Winterland, ce 14 janvier, leur implosion semble déjà inévitable.

Le dernier set : une démonstration brute de nihilisme punk

La salle de 5 000 places, qui avait déjà accueilli des légendes comme Led Zeppelin et The Band, était remplie d’un public éclectique de punks, de marginaux et de curieux. La soirée a débuté avec les performances explosives de deux groupes locaux : The Nuns et The Avengers, qui ont tenté de contenir la tension électrique qui flottait dans l’air.

Puis, les Pistols ont fait irruption sur scène. Ils ont ouvert avec « God Save the Queen », provocateurs et défiants, avant d’enchaîner avec une setlist comprenant « Anarchy in the U.K. », « No Feelings » et « Belsen Was a Gas ». Chaque morceau était joué dans un mélange de rage et d’épuisement. Sid Vicious, vêtu d’un T-shirt affichant « I’m a Mess », était fidèle à son slogan : une épave ravagée par l’héroïne, peinant à suivre le rythme à la basse.

Alors que le groupe entamait son dernier rappel — une reprise de « No Fun » des Stooges —, la frustration de Johnny Rotten atteint son paroxysme. Agenouillé au bord de la scène, il fixe la foule et, avec un sourire narquois, lance : « Vous avez déjà eu l’impression de vous être fait avoir ? » Puis, il laisse tomber le micro et quitte la scène. Ce n’était pas un simple « mic drop » : c’était une guillotine qui s’abattait sur les Sex Pistols.

Dans les coulisses : un groupe en guerre

À Winterland, les Sex Pistols n’étaient plus un groupe, mais un véritable champ de bataille. Rotten ne supportait plus les manipulations de McLaren ni le cirque médiatique qui avait transformé le punk en une parodie grotesque de lui-même. « Ce n’était plus un groupe, » confiera Rotten plus tard. « C’était une farce. Sid n’avait plus toute sa tête — c’était un gâchis total. Malcolm refusait de me parler. J’avais l’impression d’être dans le mauvais groupe. »

Le déclin de Sid Vicious avait été aussi rapide que spectaculaire. Autrefois une figure chaotique mais charismatique, il n’était en 1978 qu’un fantôme de lui-même, s’endormant sur scène et peinant à jouer une seule note correcte. Les témoignages de Winterland le décrivent titubant pendant le set, davantage caricature de punk que musicien opérationnel. En coulisses, sa relation tumultueuse et destructrice avec sa petite amie Nancy Spungen, alimentée par la drogue, ne faisait qu’aggraver la situation.

Pendant ce temps, le batteur Paul Cook et le guitariste Steve Jones tentaient désespérément de maintenir une cohésion musicale. Mais le poids de la tournée et les querelles internes rendaient l’unité impossible. « On se détestait à ce moment-là, » a avoué Jones dans des interviews plus tardives. « C’était un désastre. »

Une tournée destinée à l'échec

La tournée américaine semblait dès le départ programmée pour imploser. McLaren, fidèle à son rôle de provocateur, avait réservé des concerts dans des bastions conservateurs comme le Sud profond, s’assurant ainsi un accueil hostile. À Dallas, ils ont été bombardés de canettes de bière, boycottés à Memphis, et traqués par l’indignation morale à chaque étape. Ce qui aurait dû être une introduction triomphale des Pistols en Amérique s’est transformé en un parcours semé d’hostilités.

Quand les Pistols arrivent à San Francisco, ils ont déjà épuisé ce qu’il leur restait de bonne volonté ou d’énergie. Rotten, vidé et écœuré, l’a résumé avec amertume : « Ce n’était plus drôle. »

Les conséquences : La fin d'une époque

Winterland ne marque pas seulement la fin des Sex Pistols : c’est la fin d’une époque. Quelques jours plus tard, Rotten annonce qu’il quitte le groupe. « J’en avais fini, » dira-t-il plus tard. « J’en avais assez des conneries. »

Sid Vicious, de son côté, poursuit sa descente aux enfers. En octobre, il est arrêté pour le meurtre de Nancy Spungen au Chelsea Hotel de New York. Quelques mois plus tard, en février 1979, il succombe à une overdose d’héroïne, à seulement 21 ans.

Pour McLaren, Winterland représentait un triomphe tordu. Il prétendra plus tard que le chaos faisait partie de son grand plan pour immortaliser la légende des Pistols. Calculée ou non, la rupture du groupe n’a fait que nourrir leur mythe : celui des premiers martyrs du punk.

L'héritage du spectacle du Winterland

Bien que la carrière des Pistols ait été brève — un peu plus de deux ans —, leur impact sur la musique et la culture reste incommensurable. Le concert de Winterland, immortalisé plus tard dans l’album live Live at Winterland 1978, capture le punk rock dans ce qu’il a de plus brut, impitoyable et autodestructeur.

Pour les fans, c’était le dernier souffle d’un mouvement né dans la rébellion, mais rapidement dévoré par la machine qu’il cherchait à détruire. Le punk allait survivre, mais les Sex Pistols s’étaient consumés dans une flamboyance spectaculaire.

Les derniers mots de Rotten — « Avez-vous déjà eu le sentiment d’avoir été trompé ? » — résonnent encore aujourd’hui. Ils visaient tout le monde : l’industrie, les fans, et peut-être même lui-même. À cet instant, il parlait non seulement au nom des Pistols, mais aussi au nom de toute une génération désillusionnée par les promesses trahies de l’establishment.

Et pourtant, dans leur chaos, les Pistols ont trouvé l’immortalité. Cette nuit-là, à San Francisco, ils n’ont pas simplement refermé un chapitre de l’histoire de la musique : ils ont claqué la porte, y ont mis le feu, puis sont partis sans se retourner.

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