
Ah, les années 1960 — une époque où la paix était cool, la guerre ringarde, et où les rockstars pensaient qu’un lit, un peignoir et une guitare empruntée suffisaient à résoudre les conflits mondiaux. Voici donc venir John Lennon et Yoko Ono : jeunes mariés, artistes de performance et sauveurs autoproclamés de la civilisation occidentale (ou du moins de ses recoins offrant un service d’étage correct). Leur arme de prédilection ? Rester très, très immobiles.
En 1969, la guerre du Viêt Nam s’éternisait comme une gueule de bois qui refusait de passer. Un demi-million de soldats américains rôtissaient en Asie du Sud-Est, tandis qu’à la maison, les rues débordaient d’indignation tie-dye et de guitares acoustiques. Au beau milieu de ce casse-tête géopolitique, Lennon et Ono lancèrent leur deuxième « Bed-In for Peace » à l’hôtel Reine Elizabeth de Montréal — une semaine de pyjama-party transformée en spectacle anti-guerre, quelque part entre coup de génie militant et lune de miel surmédiatisée.
Leur première tentative avait eu lieu à Amsterdam : même scénario, même pyjamas, un peu plus de tulipes. Mais pour la suite, ils voulaient un impact médiatique à la hauteur du continent nord-américain. New York aurait été parfait, mais les États-Unis avaient déclaré Lennon persona non grata à cause d’une condamnation pour possession de cannabis (car rien ne dit mieux « menace pour la sécurité nationale » qu’un Beatle avec un joint). Ils tentèrent donc les Bahamas. Trop moite. Puis Toronto. Trop… Toronto. Finalement, ils atterrirent à Montréal — juste assez éloignée pour décourager les journalistes sérieux, et suffisamment exotique pour générer de bons titres.
Ils s’installèrent dans la chambre 1742 du Fairmont Le Reine Elizabeth et commencèrent aussitôt à ne rien faire du tout. Du 26 mai au 2 juin, les Lennon restèrent allongés, entourés de fleurs, de pancartes proclamant « Bed Peace » et « Hair Peace », et d’un défilé incessant de journalistes, d’activistes et de curieux. Ce n’était pas vraiment une « salle de guerre », plutôt une forme de « diplomatie en pyjama ». Chaque jour, ils répondaient à des questions sur le pacifisme, tout en essuyant les railleries de rabat-joie professionnels comme le dessinateur Al Capp (venu pour insulter tout le monde avant de repartir — en somme, Twitter sous forme humaine).
Mais le véritable crescendo eut lieu le 1er juin. L’air saturé d’encens et d’idéalisme à moitié cuits, John attrapa sa guitare et donna naissance à une chanson si simple qu’un étudiant défoncé de première année aurait pu l’accompagner : Give Peace a Chance. Enregistrée en direct dans la chambre, avec un chœur hétéroclite allant de prophètes sous LSD à des militants pacifistes en kippa, cette sorte de karaoké chaotique se transforma, contre toute attente, en un hymne mondial. Qualité sonore : désastreuse. Impact culturel : monumental.
Entre en jeu André Perry — héros méconnu, armé d’un enregistreur quatre pistes et doté d’une patience de saint. Tandis que John et Yoko dirigeaient leur chorale de fortune dans ce qui ne peut être décrit que comme un Woodstock en peignoir, Perry installait son studio portable dans la même pièce, à moins de quatre mètres de l’action, casque vissé sur les oreilles, probablement en train de se demander ce qu’il avait bien pu faire pour mériter cette hallucination sonore. Mais grâce à sa magie d’ingénieur, il réussit à sauver la cacophonie. Après l’expulsion des Lennon, il retoucha discrètement la piste dans son studio montréalais avec quelques overdubs et chœurs additionnels. Le résultat ? Un hymne de protestation suffisamment propre pour passer en ondes, mais encore assez brut pour sembler vrai.

Il ne s’agissait pas seulement d’une protestation, mais aussi d’un exercice de marketing. Lennon, qui maîtrisait alors les médias mieux que bien des attachés de presse, avait compris une chose essentielle : l’absurde fait la une. Alors pourquoi ne pas prêcher la paix depuis un lit d’hôtel et voir qui mord à l’hameçon ? Réponse : tout le monde. Plus de 150 journalistes défilèrent chaque jour dans la suite, prenant des notes en équilibre sur des draps fraîchement repassés par des célébrités. Certains furent séduits, d’autres interloqués, beaucoup simplement perplexes. Mais tous écrivirent.
Pendant ce temps, le gouvernement canadien, sans doute trop poli pour interrompre une protestation en plein milieu, laissa le spectacle aller à son terme. Des agents de l’immigration restèrent en embuscade, attendant le dernier refrain pour raccompagner en douceur les pèlerins de la paix jusqu’à l’aéroport. Montréal avait rempli son rôle : c’était devenu un Woodstock avec service en chambre, une manifestation avec couverture rabattue, et sans doute la seule protestation anti-guerre à s’être conclue par une expulsion… et des avis cinq étoiles sur Yelp.
Aujourd’hui, la chambre 1742 est moins une suite d’hôtel qu’un sanctuaire laïque de la protestation performative. On peut la réserver, s’asseoir à l’endroit exact où John gratta sa guitare, et s’émerveiller devant le fait que deux célébrités aient réussi à transformer la résistance passive en coup médiatique. C’est de l’histoire immersive à l’ère d’Instagram — où les signes de paix sont optionnels, mais les selfies obligatoires.
Au final, le Bed-In de Montréal fut ridicule. Et brillant. Et agaçant. Et inoubliable. Comme tout grand moment d’art performatif, il fit parler — parfois de la guerre, parfois de pyjamas, parfois des deux. Et si l’on parvient à regarder au-delà du cynisme, il y a quelque chose d’indéniablement beau dans l’idée qu’il est parfois possible de protester… en restant allongé.
La paix, parfois, commence par des confidences sur l’oreiller.
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