
Le 9 novembre 1967, le magazine Rolling Stone fit son apparition dans le monde, non pas dans un éclat retentissant, mais avec un John Lennon à l’air légèrement perdu, coiffé d’un casque en filet. Déguisé en soldat Gripweed dans le film de guerre absurde Comment j’ai gagné la guerre, Lennon faisait la une de ce qui allait devenir la publication musicale la plus influente de l’histoire — bien qu’à l’époque, cela ressemblât davantage à la section culturelle d’un journal de province.
Ce n’était pas un choix artistique. C’était une course contre la montre.
Jann Wenner, 21 ans, armé d’une machine à écrire, d’un rêve et de 7 500 $US glanés en grande partie auprès de sa future belle-famille, voulait élever le journalisme rock au-delà des posters punaisés dans les chambres d’ados et des futilités de Tiger Beat. En s’associant au critique de jazz Ralph J. Gleason, il lança Rolling Stone depuis une imprimerie du quartier Haight-Ashbury de San Francisco. Mi-journal, mi-baromètre de la contre-culture, le magazine était loin d’imaginer l’icône qu’il allait devenir.

Le nom était un véritable mélange culturel : le classique blues de Muddy Waters, Like a Rolling Stone de Dylan, un clin d’œil au groupe que vos parents détestaient, et ce vieux proverbe sur la mousse qui ne pousse jamais — parce que, après tout, pourquoi choisir un seul symbole quand on peut tous les revendiquer ?
Parlons maintenant de cette couverture.
Elle n’a été ni prévue, ni conçue, ni même photographiée par le magazine. L’image de Lennon provenait d’un dossier promotionnel pour Comment j’ai gagné la guerre, une comédie noire que plus personne ne se rappelle vraiment, sauf pour son rôle accidentel dans l’histoire du rock. Wenner n’avait pas grand-chose sous la main, et encore moins de temps. Au milieu d’une pile de clichés sans intérêt, Lennon — souriant comme quelqu’un à la fois déguisé et lassé — s’est imposé. Wenner admettra plus tard que c’était « l’image la plus convaincante disponible ». En clair : le moins pire dans une mauvaise passe.
Et pourtant, ça a marché. Lennon ne posait pas en dieu du rock, ni ne cherchait à faire une grande déclaration artistique. Il était simplement là, en uniforme, l’air vaguement agacé et faussement important. Ce qui, franchement, résumait bien le sentiment général de la contre-culture en 1967.
À l’intérieur, le magazine se prenait très au sérieux. La couverture du Monterey Pop Festival était traitée avec la gravité du Watergate. Les critiques disséquaient Donovan et les Grateful Dead avec une rigueur quasi universitaire. Les potins de l’industrie étaient présentés comme des nouvelles économiques. Et l’ensemble était emballé dans 24 pages de minimalisme grand format, pour seulement 25 cents.
L’objectif ? La légitimité. Wenner voulait que les lecteurs considèrent Rolling Stone comme digne de figurer à côté du New York Times, pas jeté sur le sol d’un ado. Alors, au lieu de mises en page psychédéliques et de polices criardes, il leur a offert une véritable manchette, une table des matières, et un Beatle en noir et blanc qui avait l’air de sortir tout droit d’un sketch des Monty Python.
Cette image ne s’est pas contentée de combler un vide. Elle a instauré une relation. Lennon, déjà bien engagé dans sa phase expérimentale post-Beatles, offrirait plus tard à Rolling Stone l’un de ses entretiens les plus marquants — une confession sans filtre qui contribua à sauver le magazine d’une faillite précoce et à asseoir définitivement son statut de poids lourd culturel.
Et la photo ? Elle n’était pas glamour. Elle n’était pas brillante. Elle était empruntée.
Mais elle a donné naissance à un héritage.
C’est ça, les révolutions. Parfois, elles ne commencent pas par un manifeste, mais par une photo de presse égarée et une prière adressée aux dieux de l’imprimerie.

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