Le dernier rugissement de Janis Joplin

Le dernier rugissement de Janis Joplin


Janis Joplin en concert en 1970, dans une image tirée du film documentaire « Festival Express ».

À l’été 1970, Joplin était déjà bien plus qu’une chanteuse : elle était une force de la nature, une tempête venue du Texas, drapée de plumes, de franges et d’assez d’émotion brute pour alimenter une petite ville. Et pourtant, son temps sur scène touchait à sa fin. Personne ne le savait encore, mais son dernier concert—le 12 août 1970, au Harvard Stadium de Boston—serait sa dernière occasion de hurler, de taper du pied et d’enflammer le monde en direct.

Joplin venait de réunir son nouveau groupe, le Full Tilt Boogie Band, un groupe de blues soudé qu’elle adorait. Elle n’était plus enchaînée au chaos cuivré de Big Brother and the Holding Company, ni entravée par la rigueur trop lisse et répétitive du Kozmic Blues Band. C’était Janis à son état le plus libre, le plus sauvage. Si Woodstock avait été un baptême collectif sous la boue, alors le Harvard Stadium était tout autre chose—une foule de 10 000 personnes assistant à l’exorcisme improvisé de la grande prêtresse du rock ‘n’ roll, en proie à ses propres démons.

Une nuit d'insouciance électrique

Boston était en proie à une vague de chaleur étouffante en ce mois d’août. La foule, agitée et brûlée par le soleil, n’était là que pour une seule raison : Janis. À ce stade, elle était devenue la reine de la catharsis, une artiste qui saignait sur scène pour que nous puissions repartir purifiés. Et ce soir-là, malgré la chaleur, malgré les ombres personnelles qui la poursuivaient, elle a tout donné.

Dès son entrée sur scène, elle était une femme possédée. Un tourbillon de perles, de tatouages et d’intensité, elle a déchiré son set avec une urgence qui, avec le recul, semble presque prophétique. Sa voix était un mélange brut de gravier et de miel, une combinaison de férocité et de fragilité capable de vous terrasser avant de vous relever.

Elle a commencé avec « Tell Mama », une chanson qui, comme Janis elle-même, était à la fois un avertissement et une invitation. Le groupe s’est installé dans un groove solide derrière elle, laissant sa voix s’élever, craquer et implorer, d’une manière qui vous faisait croire qu’elle ne se contentait pas de chanter—elle suppliait l’univers de l’écouter. Puis est venu « Half Moon », un rocker imprégné de blues, qui mettait en lumière sa capacité à passer de la puissance brute à une vulnérabilité déchirante en l’espace d’un seul couplet.

Et puis, « Move Over »—une chanson qui, si vous l’écoutez attentivement, résonne comme le cri de guerre personnel de Joplin. Elle l’a écrite elle-même, ce qui explique pourquoi chaque note est empreinte de frustration et de rage. C’est l’histoire d’une femme qui exige de l’espace, de la liberté—deux choses pour lesquelles Joplin s’est battue dans une industrie qui attendait encore de ses rock stars féminines qu’elles soient jolies, dociles, et, de préférence, silencieuses entre les morceaux. Janis, bien sûr, n’était rien de tout cela.

Lorsqu’elle a entamé « Summertime », l’air du Harvard Stadium a semblé changer. C’est cette chanson qui, en 1968, avait pour la première fois attiré l’attention sur elle, lorsque Big Brother and the Holding Company avait enflammé Monterey Pop. Mais à Boston, deux ans plus tard, ce n’était plus juste une chanson—c’était une performance hantée, une incantation, sa voix remplissant chaque espace vide d’une douleur majestueuse.

Quand elle est arrivée à « Get It While You Can », la nuit avait pris une dimension sacrée. Sa voix se brisait aux endroits parfaits, comme si elle savait qu’elle laissait tout sur cette scène, comme si elle disait un dernier adieu sans le formuler explicitement.

L'arc final

Et puis, c’était fini. Personne dans cette foule ne pouvait imaginer que ce serait la dernière fois qu’ils verraient Janis Joplin sur scène. Quelques semaines plus tard, elle s’éteindrait, morte d’une overdose d’héroïne dans une chambre d’hôtel à Los Angeles, à seulement 27 ans. Mais en réécoutant aujourd’hui les enregistrements de ce concert au Harvard Stadium, on peut presque l’entendre : l’urgence, le feu, le combat. Janis n’était pas en train de ralentir ; elle se consumait, spectaculairement, brillamment, tragiquement.

Des années plus tard, Sam Andrew, son ancien compagnon de Big Brother, repensera aux derniers mois de Janis et dira : « Elle était au sommet de son bonheur, de sa confiance. Mais c’est ça, l’héroïne : elle s’en moque. »

Le rock and roll est jalonné d’adieux dont personne ne savait, sur le moment, qu’ils en étaient. Mais le dernier concert de Joplin n’est pas juste une page de plus dans le livre des fins tragiques. C’est un chef-d’œuvre de défi, un rappel que, malgré la douleur, la solitude et les batailles qu’elle a menées contre elle-même et contre le monde, chaque fois qu’elle montait sur scène, elle gagnait.

Et si vous avez eu la chance d’être là, cette nuit d’août à Boston, alors vous avez vu le dernier et plus grand combat de tous.

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