
Lire la première partie de cet article ici.
DSP et correction de phase
Le point que j’essayais de souligner dans la première partie à propos des amplificateurs s’applique tout autant aux DAC. Il y a dix ans, je concevais encore des DAC discrets, mais les dernières générations de puces offrent désormais une qualité sonore suffisante pour être utilisées à tous les niveaux. Cela rend le passage du filtrage et du traitement au domaine numérique évident, tant du point de vue des performances que du coût. Cela permet aussi des traitements du signal impossibles à réaliser en analogique.
Dans tous les exemples multivoies mentionnés dans la première partie, le début d’un transitoire — c’est-à-dire les hautes fréquences — est restitué immédiatement, tandis que les basses fréquences arrivent légèrement plus tard. Cela s’explique par le fait que, pour concevoir un filtre passe-bas — un filtre qui laisse passer les basses fréquences tout en atténuant les hautes —, il faut identifier une tendance dans le signal. Il faut donc laisser passer un peu de temps pour observer cette tendance. Le filtrage passe-haut fonctionne de manière similaire : il doit lui aussi détecter une tendance, ne serait-ce que pour l’éliminer du signal. Dans les deux cas, les hautes fréquences sortent immédiatement, tandis que les basses sont retardées. À moins d’être clairvoyant, on ne peut pas annuler ce délai.
La seule alternative consiste à retarder les hautes fréquences pour les aligner avec les basses déjà décalées, reconstituant ainsi l’impulsion d’origine. Cela suppose de stocker temporairement la forme d’onde des hautes fréquences jusqu’au moment adéquat. C’est une tâche parfaitement adaptée au traitement numérique du signal. Mémoriser, c’est précisément ce que le numérique sait faire.
Ce qui est formidable avec les filtres numériques, c’est qu’on peut leur donner n’importe quelle réponse impulsionnelle imaginable. Et pourquoi pas une où la partie haute fréquence du signal arriverait en dernier ?
C’est exactement comme ça qu’on procède. La réponse de votre haut-parleur inclut un comportement passe-tout indésirable, c’est-à-dire que toutes les fréquences passent, mais avec des déphasages. Pour corriger cela, il suffit de prendre la réponse impulsionnelle de ce filtre passe-tout, de l’inverser dans le temps, puis de créer un filtre numérique à partir de cette réponse inversée. Ensuite, on place ce nouveau filtre en amont du filtre de coupure. C’est vraiment aussi simple que ça.

Voici la réponse par paliers, réelle et mesurée, d’un haut-parleur à quatre voies contrôlé par DSP :

C’est une copie conforme de l’exemple à voie unique que j’ai présenté dans la première partie, à ceci près que ce haut-parleur est bel et bien réalisable physiquement, tout en offrant tous les avantages d’un système multivoies.
Ce qui défie l’entendement, c’est que dans le petit monde des débats audiophiles, certains s’écharpent littéralement pour savoir si un signal PCM provoque une « tache temporelle ». Ils s’affrontent sur des subtilités de l’ordre de la microseconde dans la réponse impulsionnelle d’un convertisseur numérique, alors que les distorsions temporelles massives causées par les enceintes passives passent totalement sous silence. Des principes fondamentaux de l’ingénierie comme les tests de distorsion ou la contre-réaction sont bruyamment tournés en dérision, tandis que la seule idée vraiment contestable — l’inaudibilité supposée des déphasages — est répétée comme une vérité révélée. Pourquoi ? Réponse : pour entretenir le cycle infernal des renouvellements et reventes de matériel, tout simplement !
Il est bien plus rentable de détourner l’attention des clients vers les micro-différences entre sources, amplis et câbles, et de nourrir un marché qui accepte — voire recherche — des électroniques imparfaites pour justifier ces différences. Et tout ce château de cartes repose sur les enceintes passives.
Haut-parleurs dans les pièces
Faire fonctionner une enceinte hi-fi dans une pièce relève presque de la magie noire. On passe des jours à déplacer enceintes, canapés et autres meubles jusqu’à obtenir un équilibre plus ou moins acceptable. Cela n’atténue en rien les réverbérations proprement dites : la pièce continue de gronder après un transitoire de basse. Tout ce qu’on peut espérer, c’est qu’aucune bande de fréquences ne soit trop affectée. En termes temporels, cela revient à essayer d’étaler l’arrivée des échos de la manière la plus aléatoire possible.
En d'autres termes, plus vous placez les enceintes et l’auditeur de façon à obtenir une réponse lissée sur un tiers d’octave aussi plate que possible, plus la réponse transitoire sera chaotique.
Lorsque les basses sont inégales et boursouflées, on a tendance à accuser la pièce. Après tout, changer d’enceinte sans modifier son emplacement produit généralement les mêmes problèmes. Mais cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas concevoir une enceinte qui interagit mieux avec la pièce — seulement que c’est rarement fait.
Les causes du « room boom »
Un haut-parleur placé à l’avant se comporte très différemment selon qu’il émet des hautes ou des basses fréquences. Les sons aigus ne sont projetés que dans la moitié de la pièce « visible » par le haut-parleur. En revanche, les ondes sonores graves — dont la longueur d’onde dépasse la largeur du coffret — contournent celui-ci sans difficulté. Si vous orientez une enceinte dans une autre direction, les aigus disparaissent, mais les graves restent inchangés.
Comme les hautes fréquences sont émises dans un espace deux fois plus restreint que les basses, la réponse en fréquence mesurée en chambre anéchoïque grimpe d’environ 6 dB dans les aigus — ou, vu autrement, les graves paraissent 6 dB plus faibles. C’est ce changement qui explique pourquoi on appelle souvent la fréquence de transition entre rayonnement en espace complet (graves) et en demi-espace (aigus) la « fréquence d’échelon du baffle ».
Aujourd’hui, les enceintes sont conçues pour offrir une réponse en fréquence plate en chambre anéchoïque. Pour y parvenir, les concepteurs intègrent souvent un renfort des basses de 6 dB pour compenser l’échelon du baffle — ce qui a pour effet de quadrupler la quantité d’énergie dans les graves injectée dans la pièce. Or, c’est précisément dans les graves que les problèmes de pièce sont les plus difficiles à résoudre ! Des aigus un peu clinquants ? Rien qu’un peu de tissu ou de mobilier moelleux ne puisse adoucir. Mais les graves ? Aïe.
À moins de réussir à éliminer l’énergie que le haut-parleur rayonne hors de l’axe d’écoute, celle-ci va se mettre à rebondir partout dans la pièce. Voilà pourquoi, lorsqu’on ajoute de l’absorption acoustique, on la place généralement derrière les enceintes : c’est là que l’on peut commencer à contrôler les premières réflexions.
L’expression « correction de l’échelon du baffle » est un bel exercice de rhétorique : elle fait passer un problème supplémentaire pour une solution. Ça sonne comme une technique avancée de conception, mais en réalité, c’est juste une façon pour les concepteurs de se dédouaner de toute cette question épineuse.
Contrôle de la directivité
Je dois faire une pause pour souligner que les basses directionnelles ne sont pas l’apanage des enceintes actives. Par exemple, un simple dipôle émet bien moins d’énergie indésirable et tend à produire des graves plus secs et percutants dans la plupart des pièces. Il existe aussi des enceintes cardioïdes passives — la société finlandaise Gradient en fabrique depuis des décennies. Si elle reste relativement méconnue, c’est simplement parce qu’elle était en avance sur son temps.
Cela dit, il est indéniable que les enceintes actives ont popularisé l’idée du contrôle de la directivité. L’année 2015 a vu apparaître au moins trois produits marquants en la matière.
Le Beolab 90 de Bang & Olufsen, par exemple, utilise un nombre impressionnant de haut-parleurs pour offrir une directivité réglable numériquement :

Mon propre haut-parleur Kii THREE superpose numériquement les plages de fréquences de deux paires de woofers et du haut-parleur de médium afin de générer une sortie unidirectionnelle (cardioïde) à partir des graves supérieurs. En dessous de 50 Hz, tous les woofers fonctionnent en phase, comme un monopôle (c’est-à-dire de manière omnidirectionnelle) :

L’enceinte Dutch & Dutch 8c, quant à elle, utilise un haut-parleur de médium cardioïde passif, grâce à un grand transducteur associé à des évents latéraux, et intègre un subwoofer omnidirectionnel à l’arrière pour gérer les fréquences en dessous de 100 Hz :

Bien que le Kii THREE (et son successeur plus compact, le SEVEN) et la Dutch & Dutch 8c utilisent des approches très différentes pour contrôler la directivité, ils partagent une même philosophie de fond : ces enceintes se comportent comme des radiateurs en demi-espace jusqu’à des fréquences bien plus basses que celles atteintes par des enceintes conventionnelles de taille comparable — mais pas jusqu’aux plus basses. Une fréquence de transition subsiste, mais elle est volontairement abaissée.
Voici l’astuce : aucun renfort de 6 dB dans les basses fréquences n’est appliqué. Les mesures en chambre anéchoïque révèlent une réponse dans les graves inférieure de 6 dB par rapport à une courbe plate. Mais l’utilisateur est explicitement invité à placer l’enceinte contre le mur. Grâce à la fréquence de transition abaissée, l’énergie des graves émise vers l’arrière — et réfléchie par le mur — reste en phase avec le signal émis vers l’avant, ce qui permet de récupérer efficacement les 6 dB manquants. Au-delà de cette fréquence de transition, l’enceinte devient unidirectionnelle, si bien que le mur ne joue plus aucun rôle. Résultat : le son direct offre une réponse parfaitement plate dans le grave, tandis que le champ réverbéré est plus silencieux de 6 dB. Cette différence suffit à transformer une pièce « mauvaise » en un espace exploitable, et une bonne pièce en un lieu d’écoute exceptionnel. Dans une salle où la moitié des notes graves étaient autrefois étouffées et les autres traînaient indéfiniment, on peut tout à coup suivre la ligne de basse, chaque note débutant et s’arrêtant avec précision.
Les enceintes traditionnelles ne permettent pas cela, car leur fréquence de transition est trop élevée. On se retrouve avec un filtrage en peigne prononcé, à moins de tirer l’enceinte loin du mur ou de l’encastrer, comme c’est le cas dans les studios. L’idée d’abaisser la fréquence de transition par rapport à la taille du coffret, c’est précisément de reproduire le comportement d’un encastrement mural… sans le mur.
Inspiré par le succès de ces approches, un fabricant de modules d’amplification (électroniques actives prêtes à monter dans le coffret) propose désormais le contrôle de la directivité en standard dans ses outils DSP. Comme cette solution repose sur des woofers placés à l’avant et à l’arrière du coffret, la directivité obtenue n’est pas une cardioïde parfaite, mais elle reste bien supérieure à une absence totale de contrôle.
Intégration
Les processeurs polyvalents d’aujourd’hui offrent une puissance de calcul bien supérieure à ce qu’exige une enceinte active. Ainsi, au moment même où les revendeurs hi-fi commençaient à accepter l’idée qu’un système audio moderne puisse se résumer à un simple lecteur réseau et une paire d’enceintes actives, les fabricants ont commencé à intégrer la fonction de streaming… sans surcoût. Pour les faire fonctionner, il suffit désormais d’un réseau Wi-Fi et d’une prise de courant.

Le Kii SEVEN (ci-dessus) et le KEF LS50 (ci-dessous) ne sont que deux exemples d’enceintes actives intégrant le Wi-Fi et le streaming.

Cela pose toutefois un véritable défi commercial. Les revendeurs hi-fi adoptent souvent une gamme d’enceintes actives parce qu’ils en apprécient sincèrement la qualité sonore… pour ensuite découvrir que la recommander à un client existant risque de leur faire perdre une vente. Une transaction typique pourrait consister à vendre, disons, un DAC, tout en reprenant l’ancien modèle du client en échange, dans l’espoir de le revendre d’occasion.
Ainsi, lorsqu’un client entre en boutique avec l’intention de dépenser 10 000 $ pour un DAC, il faut une honnêteté peu commune de la part du revendeur pour lui avouer que, pour le même prix, il pourrait repartir avec une paire d’enceintes actives capables de surpasser l’ensemble de son système passif à 100 000 $. Résultat : les enceintes actives restent reléguées dans un coin, à attendre ce client rare, sans équipement hi-fi préalable, qui déciderait soudain de dépenser dix mille euros d’un coup. Pas très probable, n’est-ce pas ?
Et si certains revendeurs lisent ceci, un petit conseil : le client qui achète une paire d’enceintes actives haut de gamme est très probablement en train de monter en gamme à partir d’un modèle plus abordable. Assurez-vous que c’est vous qui lui avez vendu le précédent.
Caveat Emptor
Avant de vous précipiter pour acheter une paire d’enceintes actives, un petit avertissement s’impose. Ce n’est pas parce qu’il existe aujourd’hui d’excellentes enceintes actives que toutes les enceintes actives sont soudain devenues formidables. Beaucoup ne sont encore que des modèles passifs déguisés. Les coffrets bass-reflex sont tellement ancrés dans la culture du design audio que nombre d’enceintes actives en sont encore équipées, sans que leurs concepteurs ne réalisent qu’ils passent à côté d’une vraie opportunité d’amélioration. Et même lorsqu’un DSP est présent, cela ne veut pas dire qu’il sert à autre chose qu’à quelques réglages d’égalisation de base. La correction de phase est loin d’être généralisée, et le contrôle de la directivité encore moins. L’essentiel, c’est que tout cela est désormais devenu possible. Les enceintes actives ont toutes les cartes en main pour surpasser les enceintes passives — mais seules celles qui jouent intelligemment leur jeu y parviennent.
Résumé
Nous avons identifié plusieurs techniques rendues possibles par l’utilisation d’enceintes actives — dont beaucoup améliorent la réponse transitoire dans différentes plages de fréquences, et pour des raisons variées :
- Les coffrets clos deviennent une option viable, offrant des basses plus tendues et plus musicales.
- Le DSP peut corriger les déphasages introduits par les filtres de coupure, permettant ainsi à une enceinte multivoies d’atteindre une réponse transitoire digne d’une électrostatique. Le son gagne en légèreté, avec un timing plus précis et un « slam » plus percutant — le tout en même temps.
- Le contrôle de la directivité réduit l’influence de l’acoustique de la pièce. Les basses et les bas médiums gagnent en définition et en précision.
Les autres avantages permettent une conception plus compacte et plus pratique, accessible à un plus grand nombre d’utilisateurs.
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