Gravité optionnelle : Bowie et l’art de la métamorphose

Gravité optionnelle : Bowie et l’art de la métamorphose


Cette image saisissante tirée de la séance photo de David Bowie pour l’album Lodger en 1979 est bien plus qu’une simple curiosité visuelle : elle ouvre une fenêtre sur une période à la fois tourmentée et brillante de la vie de l’artiste. Capturée par Brian Duffy, le photographe à l’origine de certaines des représentations les plus emblématiques de Bowie (notamment l’éclair sur Aladdin Sane), cette photo incarne la tension singulière entre contrôle et chaos qui caractérisait la production artistique de Bowie à la fin des années 70. On y voit Bowie suspendu entre la chute et l’envol, selon l’interprétation qu’on en fait. L’image semble vaciller, prête à basculer hors du cadre, à l’image des bouleversements musicaux et personnels que Bowie traversait alors.

Au moment où cette photo a été prise, Bowie achevait sa trilogie berlinoise (Low, “Heroes” et Lodger), une série d’albums qui avaient bouleversé les conventions du rock et contribué à redéfinir le genre pour une nouvelle décennie. Avec Brian Eno à ses côtés, Bowie avait poussé son art jusqu’aux frontières, mêlant krautrock, textures électroniques et influences mondiales. Mais Lodger était différent : moins distant, plus viscéral. Si Low et “Heroes” parlaient d’isolement et de réinvention, Lodger, lui, montrait Bowie plongeant les mains dans le chaos de la réalité, explorant la dislocation culturelle, l’identité et l’ombre menaçante des années 1980 qui approchaient.

Et la séance photo ? Du pur théâtre à la Bowie. Dans le studio londonien de Duffy, le chaos ambiant de la journée s’est immiscé dans les images. Un café renversé a laissé la main de Bowie bandée, un détail qui a renforcé l’énergie frénétique de la séance. Des fils étaient fixés sur son visage pour produire de subtiles distorsions, créant un mélange saisissant de beauté et de grotesque. Duffy l’a installé dans un décor austère de carreaux blancs, à la fois clinique et oppressant, en parfaite résonance avec les thèmes de dislocation et de malaise explorés dans l’album.

La prise de vue s’inspire profondément de l’art conceptuel et des influences cinématographiques. La posture effondrée de Bowie, presque burlesque dans son exécution, évoque l’expressionnisme allemand et la sensibilité fragmentée des stars du cinéma muet comme Buster Keaton. Quant à la perspective déformée ? C’est du pur Bowie : un refus catégorique de tout ce qui est statique, conventionnel ou monotone.

Sur le plan musical, cette période n’était pas moins imprévisible. Lodger a abandonné les passages ambiants et instrumentaux de ses prédécesseurs au profit d’une esthétique post-punk rugueuse. Des morceaux comme « DJ » et « Boys Keep Swinging » explorent les artifices de la célébrité et du genre, tandis que « African Night Flight » voit Bowie s’aventurer dans la world music, bien avant que celle-ci ne devienne tendance. À sa sortie, l’album a déconcerté les critiques : il n’était ni aussi élégant que “Heroes”, ni aussi révolutionnaire que Low. Mais avec le recul, Lodger apparaît prophétique, une esquisse chaotique de la musique mondialisée et hybride à venir.

Cette photo devient ainsi une métaphore parfaite de l’état d’esprit de Bowie en 1979. C’est Bowie en chute libre, toujours à deux doigts de s’effondrer, mais qui parvient à retomber sur ses pieds à chaque fois. Les câbles peuvent tirer, les carreaux se fissurer, mais Bowie ? Il est déjà en train de concevoir sa prochaine grande idée.

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