Gabriel Fauré : Cent ans après sa mort, célébrons sa musique avec ces 5 enregistrements incontournables

Gabriel Fauré : Cent ans après sa mort, célébrons sa musique avec ces 5 enregistrements incontournables

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Il y a 100 ans, le 4 novembre dernier, 2024, disparaissait Gabriel Fauré, le plus élégant et certainement le plus sous-estimé des grands compositeurs français. Sous-estimé, car sa personnalité—joviale, sérieuse et humble—n’a pas fait de lui un aimant pour la célébrité et la popularité. Surtout, le charme immédiat de sa musique, parfois décrite à tort comme « facile » ou trop charmante, exige souvent une très grande maîtrise technique et stylistique de la part de l’interprète. C’est particulièrement le cas de plusieurs de ses œuvres pour piano, véritables portraits intimes qui, sans jamais verser dans le spectaculaire, demeurent d’une grande complexité d’exécution. Les efforts à investir pour maîtriser les dernières Barcarolles ou les derniers Nocturnes ne donnent pas le même rendement sur investissement, en termes de gloire et de renommée, que pour Beethoven, Chopin ou encore Liszt. Idem pour ses mélodies, dont l’exquis raffinement séduit autant les néophytes que les esthètes et qui demandent à l’interprète une parfaite maîtrise de la langue et du style français. Quant à sa musique de chambre, dont la qualité est comparable aux corpus de Brahms et Beethoven, elle demeure quelque peu en marge du répertoire habituel, même si elle est plus souvent jouée et enregistrée.

Vous aurez deviné que je voue un immense respect à Gabriel Fauré, peintre musical du clair-obscur, qui m’accompagne depuis de nombreuses années. Aux côtés de Debussy et de Ravel—dont il fut l’un des professeurs—Fauré demeure incontournable pour connaître la musique de la fin 19e et du début 20e siècle. Voici cinq parutions de 2024 qui vous offriront un premier contact de qualité avec le compositeur ou d’approfondir ce répertoire si vous y aviez déjà gouté.

Le Requiem de l’apaisement

Fauré : Requiem (version 1893)
Le Concert Spirituel
Hervé Niquet
Alpha 1014

Le Requiem de Fauré est assurément l'œuvre la plus connue du compositeur et il convient de la décrire comme le plus lumineux et optimiste requiem du répertoire, avec celui de Duruflé. Il existe, en plus de la première mouture de 1888, plus rarement jouée, deux versions de cette importante partition qu’il vous faut connaître. Il y a d’abord la version dite « d’église » (1893), pour petit ensemble de chambre sans violon, sauf pour un solo dans le Sanctus. Puis, la version la plus connue, celle pour orchestre symphonique (1900), réorchestrée pour mieux s’adapter aux salles de concert. Le chef français Hervé Niquet, issu du mouvement baroque, a choisi pour son très beau disque la version 1893. Les interventions du chœur, de la soprano Emőke Baráth et du baryton Philippe Estèphe sont parfaites dans le cadre intime imposé par le chef. Notons la prononciation gallicane du latin, comme c’était le cas en France à la fin du 19e siècle.

Aidé par une très belle prise de son qui a su sauvegarder la douce chaleur et l’apaisante réverbération de l’acoustique de la Chapelle de Conflans à Charenton-le Pont (magnifique orgue), le chef nous nous fait entrer dans le chœur du lieu - on s’y croirait! – et des œuvres. Seul petit bémol, certains tempos dans le Requiem de Fauré sont peut-être un peu trop rapides, mais ils accentuent du coup l’impression d’être à l’église, pendant une « vraie » représentation. Même si elle ne fait pas oublier la référence absolue de Philippe Herreweghe (Harmonia Mundi, 1988), la version Niquet en est une de grand cru. Les compléments sont de la même qualité. Concernant la version de 1900 du Requiem, Herreweghe en a également laissé la référence, témoignage poignant et magnifiquement enregistré, qui plus est couplé avec une somptueuse version de la Symphonie en ré mineur de César Franck (Harmonia Mundi).

Le piano de l’intimité

Fauré : Nocturnes et Barcarolles
Aline Piboule
Harmonia Mundi France HMM 902510

Le catalogue de Fauré regorge de disques proposant un bouquet de ses œuvres pianistiques. À ce chapitre, quelques disques se sont nettement démarqués ces dernières années. On pense immédiatement aux deux disques de Louis Lortie chez Chandos, aux programmes brillants et à la prise de son feutrée, et surtout à l’album parfait de Michel Dalberto chez Aparte, dans une prise de son miraculeuse.

Qu’en est-il maintenant des publications pianistiques visant à souligner le 100e anniversaire de la mort de Fauré? Honnêtement, nous sommes déçus. Mais que diable font les éditeurs? Où sont les meilleurs pianistes français? Gageons que les vedettes choisies pour interpréter ces œuvres adorent Fauré, mais que leur maison de disques ne trouvait pas ce répertoire vendeur.

Heureusement, deux parutions sauvent la mise. D’abord, l’excellente intégrale de Laurent Wagschal (Indesens, prise de son trop réverbérée), au style bien maîtrisé, mais qui ne bouscule en rien les références (voir plus bas) et surtout le disque qui nous occupe, signé par la brillante Aline Piboule (Harmonia Mundi France). L’éditeur français a eu la main heureuse en demandant à cette pianiste – vraiment trop rare au disque – d’enregistrer ce récital dédié aux Barcarolles n° 3, 4, 5, 9, 12 et 13, ainsi qu’aux Nocturnes n° 5, 9, 11, 12 et 13.

Dispersées tout au long de sa carrière, les œuvres choisies permettent de saisir la transformation du style du compositeur, d’abord fortement influencé par Chopin et Schumann dans les années 1880, puis évoluant vers un langage plus personnel et complexe au tournant des années 1900. Le Fauré de Piboule est à la fois intime et puissamment évocateur. On apprécie immédiatement la sincérité du style, qui ne verse jamais dans l’effet, et la beauté de l’instrument, un Gaveau de 1929 aux timbres plus ronds que les pianos de notre époque. Une franche réussite, magnifiquement enregistrée.

Si vous désirez l’intégralité des 13 Nocturnes et des 13 Barcarolles, Marc-André Hamelin (Hyperion) en a laissé une version admirable, voire incontournable. Et si l’envie d’une intégrale vous venait, pour ajouter à votre menu les Préludes et autres pièces pour piano, n’hésitez pas à vous tourner vers la référence ultime, celle de Paul Crossley (CRV) qui trône au sommet malgré une prise de son un peu embrumée. Pour une qualité sonore supérieure, tournez-vous vers celle de Pennetier chez Mirare, qui a choisi de proposer les œuvres chronologiquement au lieu de les rassembler par cycles.

Un grand cru signé Stéphane Degout

Fauré : La Bonne chanson; L’Horizon chimérique; Ballade pour piano; Mélodies
Stéphane Degout (baryton) et Alain Planès (piano)
Harmonia Mundi France HMM 902382

Ce disque paru en mai dernier est une pure merveille. Le programme, d'abord, est parfait pour qui voudrait s’initier sous les meilleurs hospices aux plus belles mélodies de Fauré. Deux grands cycles représentant deux époques et deux styles différents : La Bonne chanson, op. 61, composé de 1892 à 1894 sur des poèmes de Paul Verlaine et L’Horizon chimérique, op. 118, composé en 1821 et inspiré des poèmes de Jean de La Ville de Mirmont. Nous tenons ici la crème de la crème de l’univers mélodique fauréen, avec des mélodies comme « Une Sainte en son auréole » et « J’ai presque peur en vérité », de la Bonne chanson, ainsi que « Je me suis embarqué » de l’Horizon chimérique.

Le disque recèle aussi d’autres trésors, soit les cycles de mélodies Le Jardin Clos op. 106 et Mirages et op. 113, d’autres mélodies éparses ainsi que la superbe Ballade pour piano op. 19. Les interprètes sont tout simplement parfaits. Degout (tessiture de baryton), qu’il soit narrateur ou personnage principal selon ce qu’impose le texte, est absolument passionnant par son engagement et sa connaissance du texte. Quant à Alain Planès au piano (un modèle Érard de 1982), il fait bien plus qu’accompagner. Nous n’avions jamais entendu une telle symbiose entre la voix et le piano, entre le texte et la musique. Même chez Paul Crossley accompagnant Gérard Souzay dans le même répertoire (Philips). Soulignons aussi la notice claire et limpide signée par Denis Herlin. Excellente prise de son, bien balancée entre le chanteur et le piano. Si une intégrale récente des mélodies vous intéresse, essayez celle du ténor Cyrille Dubois et le pianiste Tristan Raës (Aparte), magnifiquement enregistrée.

Le (trop) rare Concerto pour violon

Fauré : Concerto pour violon et œuvres orchestrales
Pierre Fouchenneret (violon)
National Symphony Orchestra of Ireland
Jean-Luc Tingaud
Naxos 8574587

En l’espace de quelques semaines, la chétive discographie du Concerto pour violon, op.18 de Fauré s’est enrichie de deux admirables interprétations, celles de Renaud Capuçon (soliste et chef) chez Deutsche Grammophon et celle de Pierre Fouchenneret et Jean-Luc Tingaud chez Naxos. On n’en demandait pas tant pour une œuvre certes charmante, sans être la plus grande réussite dans le genre.

Pour les besoins de cette chronique, mon choix s’est arrêté sur le disque Naxos, en raison surtout par la direction assurée et nuancée de Tingaud. Son programme est aussi le plus intéressant. Tingaud propose comme première pièce le prélude de Pénélope, le seul opéra laissé par Fauré. Tingaud fait jaillir avec une grande maîtrise les sublimes couleurs marines de cette œuvre lyrique de grande qualité, qui mériterait d’être jouée plus souvent.

Dans le concerto pour violon, la prestation du soliste Pierre Fouchenneret est du même niveau que celle de Capuçon sur le disque concurrent, mais la direction de Tingaud est nettement supérieure à celle de son collègue. Notons également sa merveilleuse et très inspirée interprétation de la suite Dolly, op. 56, originalement écrite pour piano quatre mains et transcrite pour orchestre par Henri Rabaud. Les autres œuvres orchestrées avec soliste qui complètent le disque, soit la Romance pour violon et piano orchestrée par Philippe Gaubert et la Fantaisie pour flûte et piano orchestrée par Louis Aubert, sont de la même qualité.

Au final, on tient ici le disque idéal pour tout mélomane désirant s’initier au répertoire orchestral de Fauré, qui plus est à prix modique. Prise de son très naturelle et bien balancée.

Le grand luxe

Fauré : Intégrale de la musique de chambre avec piano; 13 Nocturnes;
Éric Le Sage (piano)
Alpha 1095

En mars dernier, Alpha a remis en boîte (6 CD) la superbe intégrale de la musique de chambre « avec piano » de Gabriel Fauré, bâtie autour du pianiste Éric Le Sage, en y ajoutant sa géniale version des 13 Nocturnes publiée en 2019. Notez que la version originale du coffret, sans les Nocturnes, est toujours disponible en téléchargement (Alpha 228), tout comme les Nocturnes d’ailleurs (Alpha 414).

Rappelons d’entrée de jeu que l’apport du corpus laissé par Fauré égale en qualité celui qu’a laissé Brahms, voire Beethoven. Éric Le Sage, l’un des meilleurs pianistes français de notre époque, a mis de côté pour son intégrale les œuvres pour cordes seules, dont l’important Quatuor à cordes et quelques pièces pour violoncelle et violon seul, superbes, mais moins essentielles. Le Sage et ses comparses, tous excellents, jouent évidemment dans le plus pur style français, en tirant souvent Fauré vers César Franck.

Le meilleur du coffret réside dans les Sonates pour violon et piano — avec Daishin Kashimoto au violon, très expressif et romantique – et dans les Quintettes avec piano, où les membres du Quatuor Ébène démontrent une aisance évidente.

Dans l’absolu, l’intégrale enregistrée dans les années 1970 autour de Philippe Collard, maintenant rééditée dans un coffret de 12 CD à prix modique, avec l’excellente intégrale de la musique pour piano par Collard et la musique orchestrale par Plasson, demeure un tantinet plus abouti, mais est nettement moins bien enregistrée. Il y aurait aussi l’intégrale Erato, construite autour du violoniste français Renaud Capuçon, qui est à vrai dire absolument géniale du point de vue de l’interprétation, mais un véritable gâchis du point de vue de la qualité de l’enregistrement.

Devant ce constat, le coffret Alpha représente donc toujours le choix prioritaire pour qui voudrait posséder cette musique en un seul coffret.

Que vous découvriez la musique de Gabriel Fauré pour la première fois ou que vous soyez déjà familier avec son œuvre, ces albums offrent une merveilleuse occasion de (re)découvrir l’un des plus grands compositeurs français. Son influence sur les compositeurs qui lui ont succédé, notamment Debussy et Ravel, est indéniable. Cent ans après sa mort, célébrons son héritage en écoutant sa musique.

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