Comment le Fantasound de Disney a introduit le « surround sound » à Hollywood en 1940

Comment le Fantasound de Disney a introduit le « surround sound » à Hollywood en 1940


À la fin des années 1930, alors qu'Hollywood s'efforçait encore de perfectionner le son synchronisé, Walt Disney eut une idée audacieuse. Il souhaitait créer un film d'animation qui non seulement rendrait la musique classique accessible au grand public, mais qui immergerait littéralement les spectateurs dans la musique elle-même. C’est ainsi qu’est né Fantasia : une expérience cinématographique révolutionnaire où musique et images se fondraient en une expérience unique et harmonieuse. Mais pour concrétiser cette vision, Disney avait besoin de bien plus qu'une animation innovante ; il lui fallait une expérience sonore qui n'existait pas encore. Disney et ses ingénieurs ont donc mis au point le Fantasound, le tout premier système de son surround multicanal, qui allait transformer à jamais la manière dont les spectateurs vivraient le son au cinéma.

Fantasound était un paysage sonore à spectre complet, conçu de toutes pièces pour diffuser le son non pas depuis une seule enceinte, mais à partir de plusieurs sources positionnées autour de la salle de projection. À une époque où les cinémas n’avaient généralement qu’un haut-parleur placé derrière l’écran, Fantasound a introduit jusqu’à 54 haut-parleurs individuels, disposés stratégiquement pour permettre au son de se déplacer dynamiquement dans tout l’auditorium. Ce système révolutionnaire reposait sur une série d’innovations audio et techniques visant à créer une véritable « chorégraphie audio », où le son pouvait voyager d’un côté à l’autre de la salle, du fond vers l’avant, en suivant les mouvements à l’écran.

La naissance d'une révolution audio : La genèse de Fantasound

Les graines de Fantasound ont été plantées en 1937, lorsque Disney rencontra par hasard le célèbre chef d'orchestre Leopold Stokowski au restaurant Chasen's à Los Angeles. Disney venait d'obtenir les droits de L'Apprenti sorcier de Dukas et souhaitait en faire un court métrage d'animation accompagné de cette musique. Stokowski, désireux de se faire une place à Hollywood, proposa de diriger lui-même la pièce. Ce projet modeste s’est rapidement transformé en une ambition bien plus grande lorsque les deux hommes réalisèrent qu’ils partageaient une vision commune : créer un film qui allierait animation et musique classique pour offrir une expérience de concert immersive et cinématographique.

Disney savait que la technologie audio de l'époque ne pourrait pas rendre pleinement justice à l'orchestration de Stokowski. C’est pourquoi lui et son équipe, dirigée par William Garity et John N.A. Hawkins, se sont lancés dans le développement d’un nouveau système sonore capable de faire vibrer la musique dans les salles de cinéma. L’équipe s’inspira des techniques expérimentées par Stokowski, comme le son stéréophonique et l'enregistrement multipiste, et les combina à des technologies inédites pour donner naissance à ce qui allait devenir le Fantasound.

Leopold Stokowski

La conception de Fantasound : Décortiquer la technologie

Le système Fantasound a permis de résoudre quatre problèmes majeurs qui limitaient le son traditionnel : une plage de volume restreinte, des sources sonores fixes, ainsi qu’un manque de profondeur spatiale et de mouvement dans le paysage sonore. L’équipe a élaboré une solution intégrant trois canaux audio distincts, une approche révolutionnaire qui permettait à chaque canal de diffuser différentes sections de l’orchestre via divers haut-parleurs. Pour gérer ces canaux et leurs transitions, ils ont mis au point une technologie innovante appelée « réseau de jonction différentiel » ou « pan pot », qui permettait un passage fluide du son d’un haut-parleur à l’autre. Cela a été essentiel pour créer la sensation d’un son qui se déplaçait en synchronisation avec les visuels, un effet totalement inédit pour le public.

Une autre innovation majeure fut l’utilisation d’un contrôle dynamique du niveau sonore, grâce à un mécanisme appelé « TOGAD » (Tone-Operated Gain Adjusting Device). Ce dispositif permettait aux ingénieurs de moduler le volume de chaque piste en temps réel, en amplifiant un instrument soliste ou en atténuant d’autres sections de l’orchestre, afin de renforcer l'impact émotionnel d’une scène. Ce contrôle dynamique a apporté une fluidité et une profondeur inédites, donnant à la musique une impression de vie, avec des crescendos qui s’élèvent et s’estompent naturellement dans toute la salle.

Le processus d’enregistrement de Fantasound était tout aussi révolutionnaire. À une époque où les bandes multipistes n’existaient pas encore, l’équipe de Disney a mis en place une configuration multicanal permettant d’enregistrer séparément les différentes sections de l’orchestre. Les ingénieurs ont capté jusqu’à huit pistes audio distinctes en simultané, grâce à un réseau de 33 microphones placés stratégiquement, et ont utilisé près de 145 kilomètres de bande pour capturer la pleine richesse sonore de l’orchestre. Cette configuration poussée permettait aux ingénieurs d’isoler chaque section et de la positionner précisément dans le paysage sonore, permettant ainsi de mixer dynamiquement les canaux gauche, droit et central.

Le premier vrai « surround sound » : Fantasound en action

Une fois le système conçu, le processus d'installation a débuté, et ce fut une entreprise de grande envergure. Fantasound nécessitait une configuration complexe d'amplificateurs, de haut-parleurs placés avec précision et de réglages audio méticuleux à reproduire dans chaque salle. Pour la première de Fantasia, le 13 novembre 1940 au Broadway Theatre de New York, 36 haut-parleurs furent installés derrière l’écran, avec 54 haut-parleurs supplémentaires répartis dans la zone des fauteuils d’orchestre et du balcon. Selon la taille du théâtre, entre 30 et 90 haut-parleurs étaient nécessaires, chacun calibré pour délivrer le son à l’angle et au volume corrects, créant ainsi un environnement sonore immersif et enveloppant.

Les réactions du public furent immédiates et intenses. Alors que le son circulait et se déplaçait autour d’eux, les spectateurs se retrouvaient transportés dans une nouvelle expérience cinématographique, qui dépassait l’écran pour remplir toute la salle d’un son riche et dynamique. Par exemple, pendant la séquence de La Suite de Casse-Noisette, la musique de Tchaïkovski semblait danser et planer dans l’espace, chaque note remplissant la pièce depuis différentes directions. Cet effet était rendu possible grâce à la superposition des divers canaux audio et à l’utilisation du pan pot pour déplacer le son de manière fluide à travers la salle.

Cependant, la complexité de Fantasound posait d'importants défis logistiques. Chaque salle devait être équipée d'un matériel qui la transformait pratiquement en mini-studio d'enregistrement, comprenant plusieurs amplificateurs, des oscillateurs et un film Technicolor spécialisé, synchronisé sur une piste de contrôle. Le son demandait une telle précision que les ingénieurs de Disney devaient accompagner chaque représentation itinérante pour installer et superviser l’équipement. Les cinémas devaient souvent retirer des sièges pour loger les haut-parleurs et assurer une acoustique optimale, ce qui augmentait les coûts et limitait la possibilité de déployer le système à grande échelle.

L'héritage et l'influence durable de Fantasound

Malgré le succès du Fantasound lors de la première, ses coûts d'installation élevés et ses besoins opérationnels intensifs le rendaient impraticable pour une distribution à grande échelle. Seules quelques villes — New York, Los Angeles, Boston, Philadelphie, Chicago et Détroit — ont pu installer le système, et avec le début de la Seconde Guerre mondiale, les ressources nécessaires pour soutenir un projet aussi ambitieux se sont faites rares. Finalement, Fantasia a été réédité en mono, et Fantasound a peu à peu disparu des salles. Mais son héritage était loin de s’arrêter là.

Les techniques développées par les ingénieurs de Disney pour Fantasound allaient devenir le fondement de la technologie moderne du son surround. Le Dolby Stereo, introduit dans les années 1970, et le son à 360 degrés du Dolby Atmos actuel doivent beaucoup aux méthodes pionnières de Fantasound en matière de son multicanal et de contrôle dynamique. Fantasound fut également le premier système commercial à utiliser une piste de clic, le doublage (overdubbing) et la lecture audio synchronisée, des innovations toujours utilisées aujourd’hui dans les studios d’enregistrement.

L'impact le plus durable de Fantasound réside peut-être dans la façon dont il a transformé notre conception du son en tant qu'outil narratif. Le projet audacieux de Disney a démontré que le son pouvait être bien plus qu'une simple expérience passive : il pouvait être spatial, en mouvement, et aussi essentiel à la narration que les images à l’écran. Fantasound n’a pas seulement révolutionné le son, il a changé le cinéma en poussant l’industrie à considérer l’audio comme un puissant outil d'immersion et d'engagement.

Enfin, Disney, Garity et Hawkins ont reçu un Oscar honorifique en 1942 pour leur travail révolutionnaire sur le Fantasound, un hommage bien mérité à un système sonore qui, bien qu’éphémère, a marqué l’histoire du cinéma. Aujourd'hui, chaque salle équipée de Dolby Atmos, chaque expérience IMAX, et chaque installation de son surround à domicile rend hommage à la vision de Disney pour Fantasia. Fantasound était peut-être en avance sur son temps, mais il a ouvert la voie à un futur où le son ne serait plus un simple accompagnement, mais une star à part entière.

Vous souhaitez en savoir plus sur Fantasound ? Voici un article écrit en 1941 par WM. E. Garity & J. N. A. Hawkins qui explore les limites de la reproduction sonore conventionnelle, détaille l'histoire du développement du Fantasound et décrit en profondeur ses principaux composants techniques.

N.B. : Merci à William Olson pour cette information : Les éléments originaux du film Fantasound ont malheureusement disparu. Dans les années 1950, alors qu’ils commençaient à se détériorer, ils ont été transférés, probablement sur bande magnétique. Le transfert s’est fait via des lignes téléphoniques, car le système Fantasound et l’équipement de réenregistrement se trouvaient dans des bâtiments séparés et étaient trop volumineux pour être déplacés. Malheureusement, il est presque certain qu’une partie de la qualité audio a été perdue durant ce processus. Ces enregistrements ont depuis été utilisés pour toutes les restaurations.

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