Pleins feux sur Brahms

Pleins feux sur Brahms

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Voici trois disques pour explorer la musique de Johannes Brahms (1833-1897), géant du romantisme allemand qui nous a laissé de nombreux chefs-d’œuvre. Les deux premiers ont été publiés plus tôt cette année et le troisième fait partie des meilleures prises de son que j’ai pu entendre au fil des années. Ces trois albums ont en commun une approche interprétative qui jette une splendide lumière sur les œuvres proposées.

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Le chant intérieur

Brahms : les quatre Symphonies
Orchestre de chambre d’Europe
Yannick Nézet-Séguin
Deutsche Grammophon 4866000

L’intégrale des quatre Symphonies de Brahms fait partie du répertoire germanique de base et la plupart des chefs désirent laisser un témoignage de leur vision. Depuis plusieurs décennies, de nombreuses versions se sont hissées au panthéon du disque, si bien que les critiques et les amateurs attendent de pied ferme quiconque aspire à se démarquer dans ce répertoire.

Chambrent, l’intégrale proposée par le chef québécois Yannick Nézet-Séguin avec l’Orchestre de chambre d’Europe se démarque à plus d’un titre. Ce qui attire l’attention dès la première écoute, c’est la volonté du chef d’exposer les riches couleurs des textures orchestrales et le chant intérieur des œuvres. Son approche ressemble un peu aux choix esthétiques de la photographie du chef sur la pochette : celle d’un Brahms aux sonorités feutrées et avenantes, ainsi qu’une pâte orchestrale translucide qui ne manque jamais d’impact. Sachant qu’il s’agissait de l’Orchestre de chambre d’Europe, jouant habituellement avec 40 à 50 musiciens, j’ai d’abord écouté quelques fois cette intégrale sans lire le livret, ayant à l’esprit la très belle interprétation de ces mêmes symphonies laissée par le chef Paavo Berglund avec le même orchestre (Ondine). J’avais aussi en tête la version fascinante, mais très inégale (avec une 4e Symphonie catastrophique), de John Eliot Gardiner (4 disques, Soli Deo Gloria), qui a clairement démontré à quel point les Symphonies sont imprégnées de la passion de Brahms pour la musique chorale de la Renaissance. Dans cette veine « orchestre de chambre », la version de Nézet-Séguin impressionne par l’absence de rigidité et donc l’impression de souplesse. Son Brahms est résolument lumineux et tourné vers le chant intérieur. En lisant le trop bref livret (pourquoi l’éditeur a-t-il choisi de ne rien nous dire sur les effectifs et le contexte de création des œuvres?), j’ai été surpris par le nombre de musiciens en présence : 52 pour les Symphonies n° 1 et n°2 et 50 pour les Symphonies n° 3 et ° 4. Cela correspond aux 49 musiciens auxquels Brahms eut recours pour les auditions semi-privées à la cour de Meiningen, alors qu’il cherchait avant tout à tester l’effet de certaines tournures d’écriture sur l’audience. J’aurais plutôt parié que j’entendais 60-65 musiciens. Nézet-Séguin a donc su préserver en bonne partie l’impact de la musique, du moins dans son essence, puisque la tradition est de jouer les Symphonies en soulignant la masse orchestrale et surtout sa densité. Au demeurant, même si la proposition de Nézet-Séguin ne bouscule ni les classiques - surtout la 2e version de Karajan à Berlin (DG) et la 1ère version d’Haitink à Amsterdam (Philips), ou les références récentes, prioritairement la 2e version de Chailly à Leipzig (Decca) -, le chef québécois nous laisse une sublime version qu’on se plaît à réécouter en se disant que Brahms était peut-être plus léger (ou moins lourd!) qu’on le croyait. La prise de son, feutrée justement, est en parfaite adéquation avec les choix interprétatifs du chef. Magnifique!

Un violoncelle de bon augure

Brahms : Sonates pour violoncelle et piano
Christian Poltéra et Ronald Brautigam
BIS-2427

Si on m’avait dit un jour que j’allais écouter en boucle les deux Sonates pour violoncelle de Brahms (op. 38 de 1862-1865 et op. 99 de 1886) pour m’apaiser, comme je l’ai fait le printemps dernier, j’aurais été sceptique. Non pas que ces sonates soient déprimantes, au contraire, mais je les ai toujours trouvées un peu lourdes, un préjugé que j’ai depuis ma rencontre avec ces œuvres alors que je tentais d’apprivoiser la célèbre version de Rostropovitch et Serkin (DG) à mes débuts comme amateur de musique classique. Ces deux géants en fin de carrière étaient restés fidèles à une certaine image du compositeur que je qualifierais d’embrumée, au sens de presque ténébreuse. Ici, avec la version de Christian Poltéra et Ronald Brautigam, il en est tout autre. Bien sûr, ce ne sont pas les premiers à mettre ces sonates sous une lumière plus chaude qu’à l’accoutumée. Wispelwey et Lazic (Channel), par exemple, avaient convaincu par l’allant et la vigueur de leur proposition. Du côté de Poltéra et Brautigam, c’est plutôt la fraicheur et la spontanéité qui caractériseraient leur version. Ces deux excellents chambristes nous donnent l’impression que nous assistons à un concert extérieur, planté dans un décor naturel au tout début de l’automne, alors que le soleil n’a pas encore dit son dernier mot. Le choix des instruments explique en partie cette impression de naturel : le violoncelle Stradivarius « Mara » (cordes en métal) de Poltéra et surtout la sublime copie d’un piano Streicher de 1868 (par le facteur Paul McNulty) de Brautigam enluminent les deux sonates. Les Cinq pièces dans le ton populaire, op. 102 de Schumann, s’insèrent parfaitement entre les deux sonates de Brahms. Au final, ce disque magnifiquement capté et masterisé devrait ravir les plus exigeants. Si vous aimez, gâtez-vous et offrez-vous les œuvres de Mendelssohn pour violoncelle et piano par les mêmes interprètes, toujours chez BIS.

Prise de son éclatante

Brahms : Œuvres pour chœur et orchestre
Philippe Herreweghe, Ann Hallenberg (mezzo), Collegium Vocale Gent, Orchestre des Champs-Élysées
Phi LPH 003

Attention : ce disque a fait décrocher la mâchoire de plusieurs de mes amis audiophiles, même ceux qui n’étaient pas nécessairement de grands amateurs de musique classique. Publié en 2012, ce disque est le troisième de Philippe Herreweghe sur Phi, sa propre étiquette. Le chef belge a choisi des œuvres sacrées et profanes pour chœur et orchestre de Johannes Brahms, pages qui doivent beaucoup aux compositeurs de la Renaissance et de l’époque baroque. La prise de son extrêmement naturelle et bien aérée permet à l'auditeur de percevoir les moindres nuances et accents demandés par le chef aux musiciens et choristes. Herreweghe a poussé très loin son travail sur les textures orchestrales et chorales afin de préserver la polyphonie archaïsante des œuvres. Comme dans sa version de la Messe no 3 de Bruckner (Harmonia Mundi), Herreweghe sauvegarde l’équilibre entre la densité de la masse orchestrale et la transparence nécessaire pour rendre intelligibles certains passages complexes. La célèbre Alt-Rhapsodie, op. 53 illustre parfaitement cette volonté de clarté dans les passages où la voix charnue de la mezzo Ann Hallenberg se fond dans la masse du chœur de voix d'hommes. Les autres pièces au programme –Schicksalslied, op. 54, Begräbnisgesang, op. 13, Gesang der Parzen, op. 89 et le superbe motet a capella Warum ist das Licht gegeben, op. 74 no 1—atteignent le même degré d’achèvement. Plus encore que l’excellent chef John Eliot Gardiner dans sa version beaucoup plus démonstrative de ce corpus (Soli Deo Gloria), Herreweghe a réussi une exceptionnelle synthèse entre clarté du discours et masse orchestrale.

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